Une créatrice strasbourgeoise accuse Shein de plagiat dans le domaine de la mode

Sophie Lambert

Une copie presque parfaite : quand la mode devient une question de propriété intellectuelle

Sur le visage d’un mannequin, certaines pièces vestimentaires peuvent paraître identiques à première vue, surtout lorsqu’elles sont portées derrière un écran. Pourtant, les détails, même subtils, révèlent souvent des différences notables. C’est ce que Pauline Moisson, jeune créatrice basée à Lyon, a découvert en observant de près une blouse qu’elle avait designée. La pièce, une chemise courte aux teintes vives et agrémentée d’un nœud dans le dos, avait été repérée sur la plateforme Pinterest. En la cherchant sur le site chinois Shein, à peine quelques clics plus tard, elle s’est aperçue que cette même blouse, ou une version très similaire, y était vendue à un prix inférieur d’environ six fois. Un choc pour la créatrice alsacienne de 23 ans, qui raconte avoir été bouleversée par cette constatation : « Je suis tombée de très haut. »

Ce qui rend cette situation d’autant plus frustrante, c’est que derrière une apparence similaire, tout distingue la véritable création de Pauline de la copie commercialisée par le géant de la fast fashion. La jeune femme a partagé cette découverte sur ses réseaux sociaux, notamment via un post Instagram, attirant rapidement l’attention de la presse et des observateurs de la mode éthique. La similitude entre les deux pièces semblait frappante, mais en y regardant de plus près, les différences de fabrication, de détails et de qualité se faisaient clairement ressentir.

Une lutte entre valeurs éthiques et production de masse

D’un côté, la démarche de Pauline Moisson repose sur des principes responsables et durables. Sa marque, Ambitieuse Upcycling, a été fondée dans un objectif éthique, en phase avec ses convictions écologiques. Après un passage par Strasbourg où elle avait commencé ses premières expérimentations, elle a lancé son atelier dans la région lyonnaise, après le premier confinement. La philosophie consiste à récupérer des vêtements de seconde main pour leur donner une nouvelle vie à travers des transformations soignées, dans un atelier d’insertion. Elle met un point d’honneur à travailler avec autant de matériaux de récupération que possible, limitant ainsi au maximum son empreinte carbone. Pauline insiste : « Notre impact environnemental est presque nul, il se résume à l’énergie nécessaire pour faire marcher la machine à coudre et pour la livraison. »

En face de cette démarche consciente se trouve l’approche commerciale de Shein, qui incarne à elle seule tout ce que Pauline refuse dans le secteur de la mode. La marque chinoise produit des milliers de références à bas coût, dans des usines en Chine exploitant souvent une main-d’œuvre peu rémunérée, et contribue à la dégradation environnementale et sociale à l’échelle mondiale. Le contraste est saisissant : alors que la créatrice lutte pour préserver ses valeurs, la multinationale privilégie la rapidité et le volume, au détriment de la qualité et de l’éthique. Pauline exprime sa déception : « Cela va à l’encontre de mes principes. » Elle ajoute : « Notre impact carbone est quasiment nul, il se limite à l’énergie utilisée pour coudre et pour la livraison. »

Malgré ses démarches, Pauline Moisson a tenté de contacter Shein pour faire part de ses réserves, mais elle n’a reçu aucune réponse en retour. Son message est resté sans suite. Cependant, cette affaire a eu une répercussion médiatique, en particulier dans l’actualité des propositions de lois visant à limiter la fast fashion, notamment une loi dite « anti fast-fashion » que le Sénat a adoptée peu après ces événements. La jeune créatrice, tout en poursuivant ses activités, voit dans cette situation une occasion de sensibiliser davantage à une consommation plus responsable et à la protection des créations originales.

Une absence de protection juridique face à la contrefaçon

Après avoir constaté que son design n’était pas protégé par un droit de propriété intellectuelle, Pauline Moisson a été confrontée à une situation courante pour de nombreux jeunes créateurs : le vol de son concept sans possibilité d’engager une procédure judiciaire. En effet, Shein a affirmé, lors d’échanges avec la presse, qu’il n’avait jamais eu pour intention de violer de quelconques droits de propriété intellectuelle. La société a indiqué que si des produits similaires sont repérés, ils sont simplement retirés provisoirement du site pour vérifier si leur modèle est protégé ou non.

Sans protection légale, la créatrice a décidé de ne pas poursuivre en justice. Néanmoins, cette affaire a fomenté un certain mouvement de solidarité. En quelques semaines, Pauline a reçu de nombreux témoignages de soutien, des clients et des sympathisants, qui lui ont fait part de leur encouragement et ont même augmenté leurs commandes. Elle confie être surprise par la réaction positive face à cette épreuve : « Je ne pensais pas que cela aurait autant de retombées positives. » Forte de cette expérience, elle souhaite continuer à créer, rêvant notamment de voir ses modèles commercialisés dans une boutique à Strasbourg, sa ville natale. Un message clair à l’attention de tous les amateurs de mode authentique et responsable : l’originalité a encore de la valeur, même face à des géants du marché.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.