Il y a 80 ans, la Jeep incarnait le symbole ultime de liberté sur la route

Sophie Lambert

L’émergence du véhicule militaire révolutionnaire au seuil de la Seconde Guerre mondiale

L’éclatement du conflit mondial en 1939 a considérablement suscité l’intérêt pour le développement d’un nouveau type de véhicule léger destiné à la reconnaissance et à la liaison. C’est dans ce contexte que, le 11 juillet 1940, l’armée américaine a lancé un appel d’offres pour la conception d’un véhicule innovant, désigné alors sous le nom de “General Purpose Vehicle”. La réponse à cette sollicitation n’a pas tardé, avec pas moins de 135 entreprises qui ont soumis leur dossier avant la date limite du 22 juillet 1940. La compétition était rude, car le cahier des charges fixait des caractéristiques strictes pour cette machine, qui devait pouvoir circuler dans des terrains variés tout en restant compacte.

Ce véhicule, que l’on ne désignait pas encore sous le nom de Jeep, devait disposer d’une carrosserie principalement rectangulaire, avec une transmission intégrale à quatre roues motrices. De plus, ses dimensions devaient être limitées, avec un empattement inférieur à 75 pouces (environ 1,9 m) et une hauteur n’excédant pas 36 pouces (environ 91 cm). Sa capacité de charge devait atteindre 600 livres (environ 272 kg), pour un poids total ne dépassant pas 1 300 livres (environ 590 kg). À l’origine, l’idée d’un petit véhicule 4×4 semblait innovante, à une époque où les rares véhicules à transmission intégrale provenaient principalement du Japon, tels que le Kurogane Type 95 ou la Mitsubishi PX33 de 1934. Ce projet naissant allait rapidement bouleverser la conception de véhicules militaires légers.

Les défis insurmontables des délais imposés

Les exigences du cahier des charges étaient déjà ardues, mais il fallait aussi faire face à des contraintes de temps presque impossibles à respecter. L’armée américaine demandait en effet que le premier prototype soit construit en seulement 49 jours, ce qui représentait une tâche titanesque pour l’industrie automobile de l’époque. Ensuite, la production de 70 véhicules d’essai devait être achevée en seulement 75 jours. Seuls deux constructeurs ont réussi à relever ce défi démesuré : American Bantam, une petite usine spécialisée, et Willys-Overland, un géant de l’industrie automobile. Toutefois, c’est American Bantam qui a été désigné comme le vainqueur, car il était le seul à accepter ces délais et à assurer la livraison dans les temps. Ce fut donc cette entreprise qui remporta le contrat initial, en dépit des pressions du calendrier très serré.

Le 23 septembre 1940, la petite équipe dirigée par Karl Probst livra un véhicule répondant aux critères fixés, baptisé Bantam BRC-60. Bien qu’il ait reçu l’aval de l’armée américaine, une difficulté majeure se posa rapidement : la production de masse. American Bantam, en tant que petite structure, ne disposait pas des capacités nécessaires pour répondre à une demande aussi massive. La solution fut alors de partager les plans et les spécifications de Probst à d’autres fabricants. Willys-Overland, qui avait déjà montré un regain d’intérêt, ainsi que Ford, doté d’une capacité industrielle énorme, furent chargés de poursuivre le développement.

En octobre 1940, Willys-Overland dévoila son modèle Quad, tandis que Ford annonçait sa version baptisée Pygmy. Les deux constructeurs engagèrent rapidement une série d’améliorations pour adapter et optimiser leurs véhicules. Afin de simplifier la logistique et d’harmoniser la production, l’armée américaine prit la décision de combiner les meilleures caractéristiques des trois prototypes. Le fruit de cette fusion fut la Willys MA, une version améliorée dotée d’un moteur plus puissant, développant 60 chevaux. Elle incorpora de nombreuses modifications issues des modèles GP et BRC-40. C’est cette version qui a marqué la naissance de la véritable Jeep, un véhicule qui allait, par la suite, connaître un destin exceptionnel.

Les événements de décembre 1941, avec l’attaque japonaise sur Pearl Harbor, accélérèrent considérablement la cadence de production. Rapidement, Willys-Overland reçut une commande importante de 16 000 unités en 1941, symbole de l’urgence de déployer massivement cette nouvelle machine. Ford utilisa également ses multiples usines pour augmenter la production. Entre la fin de 1941 et le milieu de l’année 1942, plus de 640 000 exemplaires furent fabriqués, qui participèrent aux combats aux côtés des forces alliées dans toutes les régions du globe, sous différentes couleurs nationales, notamment américaines, britanniques, soviétiques, australiennes ou françaises.

Une collaboration inattendue dans la fabrication de la Jeep en France

Mais ce n’est pas seulement aux États-Unis que la Jeep a été produite. En effet, le constructeur français Hotchkiss s’est lancé dans la fabrication de sa propre version, la M-201, en produisant au total près de 27 628 véhicules dans son usine de Saint-Denis, en Seine-Saint-Denis. Ces Jeep françaises ont subi plusieurs évolutions au fil du temps : la boîte de vitesses, les essuie-glaces, la suspension ou encore le châssis ont été retravaillés pour répondre aux besoins spécifiques de l’Hexagone. Ce développement local témoigne de l’impact mondial que cette machine a suscité, devenant un symbole autant patriotique qu’industriel pour la France durant la guerre.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.