En 2020, une voiture neuve coûtait 6800 € de moins qu’en 2024 à cause des marges des constructeurs

Sophie Lambert

Titre : Décryptage de l’évolution des prix des véhicules neufs et de leur impact sur le marché européen

Les allégations des constructeurs automobiles remises en question par une analyse indépendante

Les dirigeants de Renault, Luca de Meo, et de Stellantis, John Elkann, ont récemment attribué l’augmentation des prix des voitures neuves et la chute des ventes principalement aux réglementations européennes en vigueur. Lors d’un entretien accordé au Figaro, ils ont mis en avant le cadre réglementaire européen comme étant la cause principale de ces dynamiques. Cependant, une étude approfondie menée par l’Institut mobilités en transition, en partenariat avec le cabinet C-Ways, remet en question cette version des causes. Selon cette recherche, une analyse détaillée des secteurs qui ont contribué à la hausse des prix entre 2020 et 2024 montre que cette envolée n’est pas uniquement liée aux normes environnementales imposées par l’Union Européenne.

Les experts ont minutieusement évalué l’impact de divers facteurs sur cette augmentation. Leur constat indique que si le prix moyen d’un véhicule neuf a progressé de 6 800 euros, représentant une hausse de 24 %, ce ne sont pas principalement les réglementations écologiques qui en sont à l’origine. En effet, seulement un quart de cette augmentation (soit 6 % sur les 24 %) peut être attribué à l’inflation des matières premières, aux coûts énergétiques ou aux salaires liés à la fabrication. La même part revient aux normes environnementales, qui jouent certes un rôle, mais qui, en dernière analyse, ne sont pas la cause principale. La moitié de la croissance des prix, soit 12 %, découle en réalité des stratégies commerciales adoptées par les constructeurs automobiles eux-mêmes. Ces derniers cherchent à maximiser leur profit en jouant sur plusieurs leviers.

Les stratégies commerciales et leurs effets sur le marché

Les constructeurs ont opté pour une montée en gamme visant à diminuer leur offre de véhicules citadins et à accentuer leur production de SUV ainsi que de véhicules de catégorie supérieure. Ces choix, en plus d’augmenter la valeur perçue des voitures, contribuent directement à hausser leurs prix. Par ailleurs, ces entreprises ont également développé leur pouvoir de fixation des tarifs, en utilisant ce que l’on appelle le « pricing power ». Concrètement, cela signifie qu’elles peuvent aisément augmenter la marge bénéficiaire sur chaque véhicule vendu, sans se soucier immédiatement de la réaction du marché.

Ce glissement vers une segmentation plus haut de gamme profite principalement aux marques haut de gamme comme Mercedes, dont le positionnement s’oriente de plus en plus vers le luxe, ou des marques comme Dacia, dont le prix a bondi de 44 % entre 2020 et 2024. La raréfaction de petites voitures, souvent moins rentables, s’inscrit dans cette logique, renforçant la tendance à l’augmentation des tarifs. La stratégie consiste à proposer des véhicules plus coûteux, plus adaptés à une clientèle recherchant des modèles haut de gamme ou plus spacieux, ce qui permet aux fabricants de maximiser leurs marges tout en limitant la concurrence sur le segment des petites voitures.

L’effondrement du marché européen et ses conséquences

Selon la même étude, ces stratégies n’ont pas empêché le marché de s’effondrer, bien au contraire. Le volume global de ventes de voitures neuves en Europe a reculé d’environ 14 % entre 2020 et 2024. Plus spécifiquement, la France a enregistré une baisse plus prononcée, avec un recul de 22 % dans ce secteur. Cette chute dans les ventes témoigne de difficultés économiques, de la hausse des prix, et peut également être liée à une crise de confiance chez les consommateurs face à cette montée des tarifs.

Dans cet environnement, certains fabricants ont également fait le choix de privilégier le segment des véhicules haut de gamme ou des SUV, des modèles plus lourds et plus coûteux, ce qui empêche la reprise des ventes dans des catégories plus accessibles. Par exemple, Renault, Kia, Hyundai, et Ford ont concentré leurs efforts sur le développement de SUV, tandis que Mercedes a décidé de se retirer du segment C, traditionnellement peu profitable, pour se repositionner vers le luxe. La conséquence se traduit par une certaine raréfaction des petites voitures, dont l’offre se réduit, et par une augmentation généralisée des prix.

Une hausse des prix qui pénalise les ménages modestes

L’étude révèle que, malgré la croissance des profits des constructeurs, la hausse des tarifs a un coût social important. En moyenne, les résultats financiers des fabricants ont atteint 145 milliards d’euros pour la période 2020-2024, contre 80 milliards pour les cinq années précédant la pandémie de Covid-19. Toutefois, cette croissance financière ne profite pas à tous. La montée des prix nuit particulièrement aux ménages à faibles revenus ou de classes moyennes, qui voient leur capacité d’accès à la voiture neuve diminuer. En 2024, ces derniers ne représentent plus que 31 % des acheteurs en Europe, contre 43 % en 2019, témoignant d’un recentrage vers une clientèle plus aisée.

Ce phénomène impacte également les véhicules électriques, dont le prix a bondi de 17 % sur la période. La variation s’explique notamment par la logique commerciale des fabricants privilégiant des SUV électriques plus coûteux et moins accessibles pour un grand nombre de ménages. La réduction de l’offre de petites voitures électriques, moins profitables, contribue aussi à augmenter leur prix général, limitant ainsi la transition vers une mobilité plus verte pour une part importante de la population. Cette التركيز sur des modèles plus chers et plus marginaux faillit freiner la démocratisation des véhicules électriques, essentielle pour atteindre des objectifs environnementaux à l’échelle européenne.

Cette analyse met en lumière que la hausse des prix automobiles, tout en étant alimentée par des facteurs macroéconomiques et réglementaires, résulte également de stratégies commerciales délibérées. Quant à l’impact sur le marché et les ménages, il soulève des questions cruciales sur l’équilibre entre rentabilité des entreprises et accessibilité du véhicule pour tous.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.