Un #MeToo à Miss France : dévoilement des viols et agressions sexuelles dans le concours

Sophie Lambert

Une connaissance approfondie du concours Miss France et un projet de témoignages bouleversants

Hubert Guérin connaît parfaitement le concours Miss France, un événement qui continue de fasciner plusieurs millions de spectateurs chaque année. La raison en est simple : il a été l’un des derniers collaborateurs de Geneviève de Fontenay, la célèbre figure emblématique qui a marqué l’histoire de cette compétition pendant plus d’une décennie. Très attaché à cet univers, Guérin s’est lancé, en 2020, dans la rédaction d’un ouvrage en collaboration avec celle que l’on appelle aussi la « dame au chapeau ». Ce livre, connu sous le titre « Miss France, du rêve à la réalité », coïncidant avec le centenaire de la compétition, a pour ambition de retracer toute l’histoire de cette institution. Au fil de ses rencontres, il a échangé avec diverses personnes impliquées dans l’organisation de l’élection, mais surtout, avec une soixantaine de Miss France toujours en vie. Ces échanges ont été destinés à dévoiler les réalités souvent méconnues qui se cachent derrière l’image parfaite véhiculée par le concours.

Une machine qui broie ses participantes

L’écriture de cet ouvrage a rapidement pris une tournure beaucoup plus sombre lorsque les anciennes reines de beauté ont commencé à confier leur vécu sur une année marquante de leur vie, une période où leur quotidien a été profondément bouleversé, révélant ainsi un visage peu connu de cette compétition. Isolement, rythme soutenu, harcèlement moral et cyberharcèlement, difficultés à rebondir professionnellement, dépressions… Guérin découvre une dimension qu’il n’avait jamais imaginée. Il évoque une véritable « machine à broyer » où les candidates sont souvent détruites par le processus, puis abandonnées dans la société sans aucun accompagnement. Une d’elles lui a même confié : « Je suis arrivée à Miss France en vie, je suis sortie de cette année comme si j’avais vécu une mort symbolique. »

Dans le cadre de cet enquête, de nombreuses anciennes Miss France ainsi que plusieurs candidates régionales ont aussi indiqué avoir été victimes de violences sexuelles sous le contrôle de l’organisation Miss France. Guérin insiste sur le fait que ces récits, bien que nombreux, suivent toujours le même schéma, illustrant un problème systémique.

Des agressions sexuelles à répétition

Les témoignages recueillis restent anonymes mais choquent par leur violence. Parmi eux, une ancienne Miss France déclare : « J’ai été victime de viols durant ma année ». Une autre raconte avoir été agressée peu après sa victoire : « Dans ma chambre, on m’a poussée contre le lit, insultée, et ma robe arrachée ». Une troisième révèle : « Le lendemain de mon sacre, on m’a obligé à faire une fellation ». D’autres parlent d’attouchements déplacés, notamment lors de séances photos ou dans les dortoirs, où un homme passait de chambre en chambre, posant ses mains sur les fesses des candidates. Plusieurs témoignages évoquent également des agressions lors de voyages à l’étranger, notamment entre 1990 et 2002, périodes où ces abus semblent avoir été plus nombreux. Si ces actes ne concerneraient qu’une minorité, d’après Guérin moins de 10 %, une majorité de candidates régionales ou locales ont relaté des événements allant du simple « dick pic » à des gestes plus graves.

Une protection encore insuffisante pour les candidates

Hubert Guérin précise que la matriarche du concours, Geneviève de Fontenay, n’était pas au courant de ces agissements et faisait tout pour protéger les jeunes femmes dans un environnement par ailleurs très masculin. Sylvie Tellier, à la tête du comité en 2005, affirme également n’avoir pas eu connaissance de ces faits. Toutefois, Guérin souligne que cette dernière a mis en place des réformes importantes lors de sa prise de fonction, telles que l’introduction d’un dispositif de chaperons, l’interdiction des visites en coulisses ou encore le remplacement d’encadrants masculins par des femmes, ce qui a permis de réduire sensiblement le risque d’incidents.

Briser le silence et légitimer la parole

Ce qui est également dénoncé dans cet ouvrage, c’est une véritable omerta, comparable à celle que l’on retrouve dans certains milieux religieux, où la peur et la honte empêchent souvent les victimes de parler. Beaucoup de candidates expliquent n’avoir pas osé dénoncer par crainte d’être disqualifiées, de gâcher leur année de règne ou de ne pas être crues. Certaines confient à Guérin que derrière leur réussite, elles avaient une famille ou une région à défendre, et qu’elles craignaient d’aliéner leur environnement. Dans une époque où parler des agressions sexuelles était encore considéré comme tabou, déposer plainte semblait hors de portée. Après leur année de règne, ces femmes cherchaient souvent à reconstruire leur vie professionnelle, sans vouloir que leur passé noir n’influe sur leur avenir, ou simplement parce que revisiter ces traumatismes leur semblait insoutenable.

Garder le secret était aussi une volonté de préserver l’image de la reine de beauté comme symbole d’élégance et de réussite. Une participante explique : « Nous voulions la faire fière et ne pas la faire passer pour une victime. Elle qui se battait pour que nos efforts soient respectés dans la société. » Guérin insiste sur le fait que ce silence entretenu a permis à ces agressions de rester une réalité méconnue du grand public. Il espère que son livre contribuera à faire émerger une vérité longtemps dissimulée, en lançant un appel à un mouvement #MeToo spécifiquement dédié aux anciennes Miss. L’objectif est de rappeler que derrière les couronnes et paillettes, il existe souvent des parcours de femmes marqués par la résilience face à des violences qu’il est urgent de dénoncer.

Ce projet n’a pas été de tout repos. Guérin a tenté de solliciter la direction actuelle du concours pour obtenir des précisions sur ces allégations, mais sa démarche a été ignorée. Il a même été menacé de poursuites judiciaires et confronté à une résistance de la part de certains acteurs du monde Miss. Même certains délégués régionaux ou anciennes candidates lui auraient été explicitement conseillés par l’institution de ne pas lui répondre. Malgré cela, l’auteur reste déterminé : il considère que faire connaître ces faits est essentiel pour faire évoluer la société et lutter contre l’impunité.

Soutenir les victimes et agir contre la violence

Pour les femmes victimes de violences, il existe des ressources et des dispositifs d’aide, comme le numéro d’appel national 3919, qui offre une écoute confidentielle et gratuite 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. Ce service vise à accompagner celles qui veulent sortir d’un cycle de violence et à leur fournir des informations pour agir et se reconstruire.

Une publication à ne pas manquer

L’ouvrage, à paraître le 8 septembre prochain chez Vérone éditions, est intitulé « Miss France, du rêve à la réalité », écrit par Hubert Guérin. Son prix de vente est fixé à 27 euros. Un ouvrage qui, par sa démarche journalistique et sa volonté de faire la lumière sur des pratiques cachées, entend ouvrir la voie à une meilleure prise de conscience collective.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.