Témoignage de Virginie atteinte de la maladie de Crohn : vivre avec une épée de Damoclès

Sophie Lambert

Un combat contre la douleur depuis l’enfance

Depuis ses jeunes années, Virginie a toujours été confrontée à des troubles digestifs réguliers. Elle souffrait fréquemment de douleurs abdominales et de malaises intestinaux, rencontrant environ deux crises par an qu’on peut qualifier de « grippes intestinales » selon la terminologie médicale. Ces épisodes étaient caractérisés par des nausées, des vomissements et des diarrhées à répétition. Au début de sa vingtaine, ces crises ont repris avec une fréquence accrue, atteignant jusqu’à quatre épisodes par an, et leur intensité s’est accentuée. « Je pouvais être en pleine meal, en train de manger, et soudain, mon ventre se mettait à enfler considérablement, avec cette sensation de chute d’eau dans le ventre. Je n’avais d’autre choix que de me rendre aux toilettes pour me soulager », raconte Virginie. Elle parle de ces épisodes comme de « poussées », sans en comprendre la gravité à l’époque. Ce n’est que plus tard qu’elle a réalisé qu’il s’agissait de symptômes liés à une maladie inflammatoire intestinale. Jusqu’à un certain point, ces crises ne suscitaient pas d’inquiétude particulière chez les professionnels de santé, tant qu’elles n’avaient pas laissé place à un saignement dans ses selles et à une douleur tellement aiguë qu’elle devenait insupportable.

Une évolution vers un diagnostic plus grave

Ce n’est qu’au moment où Virginie a commencé à observer la présence de sang dans ses selles et dont la douleur a atteint un seuil critique qu’elle a décidé de consulter un médecin. La situation a pris une tournure plus inquiétante après la naissance de sa fille, lorsque ses crises et douleurs se sont considérablement intensifiées. « À ce moment-là, j’aurais préféré accoucher sans péridurale plutôt que de supporter ces souffrances », se remémore-t-elle. Lors des premières investigations médicales, une gastro-entérologue a suspecté une maladie de Nash, une accumulation excessive de graisse dans le foie, souvent liée à une mauvaise alimentation ou à une absence d’exercice physique. Cependant, cette hypothèse ne correspondait pas au mode de vie actif et équilibré de Virginie. Elle a alors été dirigée vers une interniste à l’hôpital de Voiron, en Isère. Les conclusions des biopsies ont finalement révélé qu’elle était atteinte de la maladie de Crohn ainsi que de la maladie de Behçet. La première maladie est une affection chronique qui provoque une inflammation du tube digestif, se manifestant par des poussées douloureuses et des diarrhées fréquentes. La seconde, en revanche, correspond à une inflammation chronique des vaisseaux sanguins, et chez Virginie, cela se traduit par des poussées de boutons cutanés et des inflammations. Après son diagnostic, elle a commencé un traitement comprenant des injections administrées par voie sous-cutanée et des immunosuppresseurs. Ces médicaments doivent être ajustés en permanence, puisque son corps finit par développer une résistance. Ce traitement est maintenu en continu dans le but de réduire la fréquence des poussées et de prévenir les complications graves telles que les perforations ou les sténoses, mais il ne permet pas de guérir la maladie.

Une existence largement impactée socialement

Au-delà des douleurs abdominales et des diarrhées, la maladie de Crohn entraîne chez Virginie une série d’autres symptômes gênants. Elle ressent une fatigue constante, d’importantes doses d’angoisse, souffre de douleurs articulaires et a perdu beaucoup de ses cheveux. Depuis qu’elle a reçu ce diagnostic dans la trentaine, elle a dû effectuer de nombreuses adaptations dans sa vie quotidienne. « Je ne peux pas accepter une invitation spontanée au restaurant, par exemple. Le fait de devoir aller souvent aux toilettes est une contrainte, mais ce qui est encore plus difficile, ce sont les douleurs. Lors des poussées, je suis totalement immobilisée. Bien que je n’aie que 42 ans, je passe parfois plusieurs semaines sans sortir de chez moi », confie-t-elle. Sa vie sociale a été profondément modifiée, puisqu’elle doit planifier chaque déplacement à l’avance. « Si je dois faire un long trajet en voiture, je préfère ne pas manger la veille pour éviter tout risque d’urgence. J’avais parfois une culotte propre en permanence dans mon sac, et je me déplaçais en ayant toujours du papier toilette à portée de main », avoue-t-elle.

Les répercussions professionnelles

L’impact de la maladie de Crohn ne se limite pas à la sphère personnelle, puisqu’elle a aussi bouleversé la carrière professionnelle de Virginie. Travaillant initialement au contact de personnes âgées, elle s’est vue contrainte d’abandonner ce poste en raison de ses crises fréquentes et de ses douleurs. Elle n’a pas cherché à cacher son état à ses employeurs. La prise régulière d’immunodépresseurs, qui affaiblissent le système immunitaire, rendait son environnement professionnel difficile à gérer. La difficulté n’était pas seulement physique : la fatigue chronique, combinée aux effets secondaires des médicaments, compliquait son quotidien. Elle a d’abord opté pour un mi-temps thérapeutique, avant que la situation ne la conduise à un reclassement en invalidité professionnelle. La reconnaissance du statut de travailleur handicapé l’a désormais limitée à un mi-temps, ce qui entraîne une perte financière significative, déplore-t-elle.

Une lutte contre une maladie invisible

Les douleurs que ressent Virginie sont souvent silencieuses, difficiles à percevoir par son entourage familial ou professionnel. Elle explique que ceux qui la connaissent pensent parfois qu’elle est stressée ou que ses douleurs sont psychologiques. « On ne voit pas toujours ce que je traverse, donc ils ont tendance à minimiser. Même si le traitement évite les crises graves, je ressens souvent un gonflement permanent du ventre, accompagnée de gaz et de ballonnements. Je vis avec une gastro en permanence. Il m’est déjà arrivé qu’on me fasse des réflexions, comme “félicitations, vous êtes enceinte” en voyant mon ventre lourd, alors que ce n’est qu’une sensation douloureuse », raconte-t-elle. Apprendre à vivre avec cette maladie fait partie de son quotidien, mais elle doit aussi accepter son nouveau rôle de malade chronique. « Parfois, je suis confrontée à la difficulté de réaliser que j’ai 42 ans et que je devrais supporter cette condition toute ma vie. Nous avons un traitement pour soulager la douleur, mais il manque malheureusement un accompagnement psychologique adapté », souligne Virginie. Elle insiste aussi sur le fait que la maladie comporte des risques : aggravation de l’état, formation de sténoses, et un danger accru de certains cancers comme celui du côlon. La bonne nouvelle est que la prise en charge médicale de la maladie de Crohn s’est améliorée au fil des années, permettant une détection plus précoce et une meilleure gestion de la condition.

Vivre avec une douleur insidieuse

Selon l’Association France Crohn RCH, environ 150 000 personnes en France sont atteintes de la maladie de Crohn. Parmi eux, plusieurs témoignages évoquent des douleurs quotidiennes, souvent invisibles pour leur entourage, mais très handicapantes. Yannick, 56 ans, originaire d’Alsace, compare ses douleurs à « des lames de rasoir dans les intestins », et précise qu’il doit souvent se rendre aux toilettes jusqu’à vingt fois par jour. La maladie se manifeste ainsi par une sensation constante de malaise, un handicap quotidien difficile à accepter. Le plus difficile pour lui, après le diagnostic, a été de faire face aux jugements non sollicités de ceux qui essaient d’apporter des bon conseils ou des remarques bien intentionnées. « Tout le monde veut bien faire, mais cela peut devenir épuisant mentalement. Je suis également en proie à une fatigue persistante qui ne me quitte plus, même si cela reste invisible », confie Céline, 51 ans, habitante de Strasbourg. La maladie entraîne donc un combat quotidien, une gestion permanente de douleurs qui ne se voient pas, mais qu’il faut apprendre à vivre.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.