Sylvain, atteint de la maladie de Ménière, raconte : « Je ne connais plus le silence »

Sophie Lambert

Le combat quotidien face à la maladie de Ménière

Sylvain a vécu une expérience marquante à l’âge de 27 ans lorsqu’un matin, il s’est rendu compte qu’il ne percevait plus aucun son dans son oreille gauche. Intrigué par cette perte soudaine, il s’est tourné vers un spécialiste ORL, qui lui a diagnostiqué un absence des basses fréquences sonores dans cette oreille. Bien qu’il puisse encore entendre certains sons, la qualité de son audition avait considérablement changé. Après une semaine d’hospitalisation et un traitement approprié, son audition est revenue, ce qui lui a permis de recouvrer une audition normale. Cependant, cette période n’a pas été une guérison définitive, car quelques mois seulement après, il a dû faire face à un nouvel épisode brusque de perte auditive.

Lors de cette récidive, la situation s’est révélée plus dramatique encore. Sylvain raconte qu’il a ressenti comme un sifflement puissant dans son oreille, accompagné d’une impression de pression qui semblait faire gonfler ou remplir son oreille. Peu à peu, il perdait l’audition, tout en étant envahi par une sensation d’étourdissement, de malaise général, des douleurs abdominales, une nausée persistante, et un stress croissant. Cet épisode a duré de une à deux heures, puis il a finalement cessé d’elle-même. Lors d’une consultation médicale, on lui a posé le diagnostic de maladie de Ménière, un trouble causé par un déséquilibre de la pression des liquides dans l’oreille interne. La maladie se manifeste par des crises de vertige, une perte progressive de l’audition dans une oreille, et la présence fréquente d’acouphènes.

Il précise que cette pathologie est difficile à traiter puisqu’aucune cure curative n’existe à ce jour, et qu’elle peut évoluer de façon totalement imprévisible. Selon lui, la fréquence des crises peut varier de une fois par mois à une crise tous les deux ou trois mois, chacune durant entre une heure et un après-midi entier. La gestion des symptômes repose principalement sur la prise immédiate d’un antivertigineux et d’un anti-anxiolytique pour limiter le stress généré par ces crises. Sylvain précise également que pour tempérer la gravité de ces épisodes, il doit respecter quelques règles simples mais essentielles : réduire sa consommation de sel, éviter de boire trop de café, surveiller sa tension artérielle, et limiter ses sources de stress.

L’évolution vers une acouphène persistante

Au fil des années, Sylvain a appris à vivre avec cette alternance de crises. Avec le temps, celles-ci sont devenues moins fréquentes. À 57 ans, il ne subit plus que de rares crises, parfois écartées pendant plusieurs années. Cependant, le mal causé par ces épisodes réguliers dans son oreille gauche est irréversible : le liquide sous pression a endommagé ses cellules de l’oreille interne, ce qui a entraîné une perte totale de son audition sur ce côté. Le seul reste aujourd’hui est un bruit constant qu’il perçoit comme un acouphène, un son qui ne peut être détecté par aucune technique médicale. Pour compenser cette déficience, Sylvain utilise un appareil auditif qui amplifie les sons extérieurs tout en produisant un bruit blanc destiné à masquer l’acouphène, permettant ainsi à son cerveau de se concentrer sur autre chose.

Il confie que ce bruit permanent fait partie intégrante de sa vie depuis plus de 30 ans. Il déclare ne plus connaître le silence, depuis qu’il doit vivre avec ce son insidieux. Pendant longtemps, ce bruit l’a privé de sommeil, car face à lui, il n’y avait rien pour apaiser cette sensation. Aujourd’hui, il considère cette présence audio comme une compagnie, un compagnon qu’il a appris à apprivoiser. Certains jours, le bruit devient insupportable, mais d’autres, il le berce et il parvient à faire avec. Selon lui, il a trouvé une certaine forme d’acceptation, même si cette constante gêne demeure présente.

Les adaptations sociales face à ces troubles auditifs invisibles

Pour faire face à cette maladie, Sylvain a dû modifier ses habitudes sociales. Il évite notamment les endroits bruyants, où les sons de fond, comme la musique ou le brouhaha, compliqueraient sa capacité à entendre et à se reposer. Lors des sorties en bars ou en lieux publics animés, il préfère ne pas s’attarder, car ces environnements sont souvent trop difficiles à supporter. De plus, lors de repas longs en famille, il doit régulièrement se retirer pour calmer ses oreilles et éviter une surcharge sensorielle. Il raconte que, dans sa famille, ses proches comprennent bien ses limitations, mais que dans un premier temps, certaines personnes rencontrant Sylvain pourraient le percevoir comme impoli ou distant, faute de connaître ses difficultés réelles. Dans le cadre d’activités ou de sorties exceptionnelles, il planifie soigneusement, comme pour un concert de musique classique : il anticipe l’événement en réduisant le bruit environnant et en se ménageant des temps de répit.

Une nécessité de concentration pour communiquer

La compréhension orale constitue pour Sylvain un véritable effort de concentration. Même en s’adaptant au mieux en positionnant ses interlocuteurs pour avoir à leur droite, il doit déployer une vigilance accrue. Lors de conversations, surtout dans un environnement bruyant, il doit faire preuve d’une concentration extrême pour saisir ce qui est dit. Il avoue que ce processus demande une vigilance qui n’est pas forcément perceptible pour ceux qui n’ont pas de problème auditif. La difficulté à suivre une discussion est devenue une réalité qu’il connaît bien, et cela influence aussi ses interactions sociales.

Pendant longtemps, il a gardé cette difficulté pour lui, pensant qu’il s’agissait simplement d’un problème mineur ou qu’il pouvait le gérer seul. C’est en réalisant que de nombreuses personnes souffrent de problèmes auditifs, que Sylvain a compris qu’il fallait en parler pour déstigmatiser la situation. Son métier de chercheur lui procure une certaine distance avec ces contraintes, puisqu’il n’évolue pas majoritairement dans des environnements bruyants. Toutefois, il raconte qu’il a traversé des moments compliqués lors de réunions ou de prises de parole en public, où il se devait de rester concentré pour ne pas perdre le fil de ses idées. Il se souvient notamment qu’il devait se positionner stratégiquement pour limiter la sensation de déséquilibre ou d’étourdissement, tout en essayant de suivre la conversation.

Une prise de conscience pour sensibiliser à l’invisible

La prévalence des troubles auditifs est souvent sous-estimée, notamment parce qu’ils sont peu visibles. Beaucoup pensent encore que la perte d’audition survient uniquement avec l’âge et que ce n’est pas une urgence ou un handicap sérieux, même si cela semble bénin. Pourtant, ces difficultés peuvent apparaître à un âge relativement jeune, et la surcharge cognitive qu’elles génèrent est loin d’être comprise par le grand public. Sylvain insiste sur le fait que, malgré tout, il ne se comporte pas comme une personne qui entend tout, mais que beaucoup continuent de penser qu’il entend ce qu’il souhaite, ce qu’il réfute. Il tient à rappeler que, même si cela paraît faible ou futile, la lutte contre l’invisible est essentielle.

Dans le but de partager sa propre expérience, Sylvain a écrit un livre, intitulé « Flo ou les mémoires sélectifs d’un acouphène », publié par les Éditions Spinelle. Ce récit personnel met en lumière les défis liés aux troubles auditifs et à la présence constante des acouphènes. Aujourd’hui, il s’engage bénévolement dans une association dédiée à la sensibilisation, la France acouphènes, afin d’aider à faire connaître ces difficultés silencieuses. Son objectif : faire prendre conscience que les troubles auditifs respectent un vécu souvent invisible mais lourd de conséquences dans la vie quotidienne.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.