Santé : 9 débits de boissons sur 10 vendent de l’alcool aux mineurs

Sophie Lambert

L’Usage de l’alcool chez les jeunes malgré une baisse de consommation : un enjeu préoccupant

Malgré une tendance à la diminution de la consommation d’alcool parmi la jeunesse, cette substance demeure la drogue psychoactive la plus impulsée par les adolescents. En effet, des statistiques révèlent qu’une majorité d’entre eux ont déjà goûté à l’alcool, avec 80,6 % des jeunes de 17 ans ayant expérimenté cette consommation. Parmi eux, 36,6 % ont connu une période où ils ont ingéré au moins cinq verres lors d’une seule occasion au cours du mois écoulé, et 7,2 % ont franchi la barre des dix verres lors d’un même épisode. Ces chiffres attestent que, même si la fréquence diminue, la consommation d’alcool chez les moins de 18 ans reste importante.

En dépit de la législation française interdisant strictement la vente d’alcool aux mineurs, la réalité sur le terrain montre une accessibilité toujours très facile à cette substance. La majorité des points de vente, quels qu’ils soient — supers, bars ou hypermarchés —, vendent encore de l’alcool aux jeunes, comme le souligne un récent rapport publié par l’association Addictions France le 3 juillet. Sur un échantillon de 90 établissements situés à Nantes, Angers et Rennes, il ressort qu’environ 86 % d’entre eux ont servi de l’alcool à des mineurs, dont 75 % étaient déjà visés par des procédures en justice pour cette infraction. Par ailleurs, 9 % seulement des établissements ont refusé la vente après avoir demandé une pièce d’identité. Ces résultats, bien qu’incarnant une amélioration par rapport aux années 2021 et 2023 où respectivement 93 % et 97,7 % des points de vente tested avaient vendu à des mineurs, restent préoccupants.

Pour renforcer la dissuasion, des sanctions mieux appliquées

Addictions France déplore que les sanctions encourues pour la vente ou la mise à disposition d’alcool à des jeunes soient peu dissuasives. En France, cette infraction est considérée comme un délit, et son signalement peut entraîner une amende pouvant aller jusqu’à 7 500 euros. Cependant, en pratique, les contrôles des infractions sont rares, les poursuites peu fréquentes et les condamnations à la peine maximale restent exceptionnelles. Cette situation limite considérablement l’impact dissuasif de la législation en vigueur.

L’association propose donc plusieurs mesures pour renforcer la lutte contre cette pratique. Elle préconise notamment la généralisation des opérations de contrôle, afin d’assurer une surveillance continue et systématique dans les points de vente. Elle milite également pour l’instauration d’un système de sanctions modulables adapté au chiffre d’affaires des établissements, conjugué à des sanctions administratives plusieurs fois plus strictes, telles que la fermeture temporaire lors de la première infraction. Par ailleurs, elle recommande d’accélérer la tenue des audiences judiciaires pour garantir une réponse judiciaire rapide et efficace. La création d’un mécanisme national et local permettant de suivre en permanence l’application des mesures et de les ajuster si nécessaire est également évoquée. Enfin, l’association insiste sur la responsabilité renforcée des débits de boissons, notamment par la mise en place d’une charte d’engagements, la vérification systématique des pièces d’identité, la formation du personnel et la signalisation claire et visible des interdictions.

Les enjeux d’une consommation précoce d’alcool

Les conséquences de la consommation d’alcool à un âge très jeune sont multiples et peuvent se faire sentir à court, moyen et long terme. Le principal souci réside dans le fait que, jusqu’à l’âge de 25 ans, le cerveau est encore en développement. Selon Addictions France, cette période sensible de maturation cérébrale rend les jeunes particulièrement vulnérables aux effets de l’alcool, tant sur le plan cognitif que comportemental. Une consommation dès l’adolescence peut causer des dommages durables aux zones du cerveau impliquées dans la mémoire, le jugement et la prise de décision. De plus, elle peut également augmenter le risque de développer une dépendance à l’âge adulte.

Les dangers immédiats liés à la consommation d’alcool sont nombreux : coma éthylique, accidents ou blessures, comportements violents, vulnérabilité accrues. Les statistiques montrent également que plus de la moitié des violences sexistes et sexuelles en milieu étudiant sont associées à une consommation d’alcool. Ces risques soulignent l’importance d’agir rapidement pour limiter la diffusion de cette pratique chez les mineurs.

En 2021, une étude menée par l’Inserm a confirmé que restreindre l’accès à l’alcool pour les jeunes entraîne des bénéfices tangibles. Elle associait notamment cette mesure à une baisse du nombre d’accidents liés à la consommation d’alcool sur la route, à une réduction de la consommation même et à une diminution des effets négatifs liés à son usage. Les données scientifiques illustrent que limiter l’accès à l’alcool pour les jeunes a des avantages indiscutables pour la santé publique à long terme.

Un décalage inquiétant entre perception sociale et risques réels

L’association Addictions France souligne également la persistance d’une tolérance sociale envers la consommation d’alcool chez les adolescents. Selon une enquête réalisée en 2023 par BVA Xsight pour l’organisation, un tiers des Français acceptent que des mineurs de 13 à 14 ans goûtent à l’alcool dans un cadre convivial ou familial, et plus de la moitié (55 %) en ont conscience pour des jeunes de 15 à 17 ans. De plus, près d’un parent sur deux a déjà permis à son enfant de goûter à une boisson alcoolisée, en moyenne vers l’âge de 14 ans.

Même si la majorité des parents (82 %) savent que l’alcool présente des dangers pour leur enfant lorsqu’il devient consommé de façon régulière, peu d’entre eux en perçoivent réellement la dangerosité quand il s’agit d’occasions ponctuelles. Ces attitudes contribuent à entretenir une acceptation sociale qui facilite la consommation précoce chez les jeunes.

Addictions France insiste sur la nécessité de renforcer la sensibilisation auprès des parents et des proches dans le but de lutter contre cette tolérance ambiante. Elle préconise un combat contre la désinformation véhiculée par certains acteurs de l’industrie des boissons alcoolisées. Elle rappelle également l’importance de rappeler systématiquement les risques pour la santé et la vie future des jeunes associés à la consommation d’alcool à l’adolescence. La responsabilisation collective de tous les acteurs concernés doit devenir une priorité pour mieux protéger cette population vulnérable. Enfin, selon le président d’Addictions France, le Professeur Amine Benyamina, il faut engager résolument le chantier de la dénormalisation de l’alcool, car il reste encore beaucoup à faire pour que l’information de base, notamment la nécessité de protéger les jeunes, parvienne dans la conscience collective.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.