Psychologie : la dépression peut se cacher derrière un sourire et ne pas se voir sur le visage

Sophie Lambert

Comprendre le phénomène de la « dépression souriante » : une expression qui il faut déconstruire

L’expression « dépression souriante » est souvent utilisée pour décrire une personne qui, malgré ses troubles psychologiques ou dépressifs, affiche une apparence de joie ou d’aisance. Elle soulève la question de savoir si cette situation correspond à un trouble mental officiellement reconnu dans la classification médicale ou si elle reflète une réalité plus nuancée.

Le docteur David Masson précise que cette expression n’apparaît pas dans les manuels diagnostiques tels que le DSM-5 ou la CIM-11, qui sont les référentiels de référence en psychiatrie. La « dépression souriante » ne désigne pas une catégorie spécifique de dépression, mais plutôt un comportement que beaucoup de personnes peuvent adopter dans leur vécu. Selon lui, près d’une personne sur quatre ou une sur cinq expérimentera un épisode dépressif dans sa vie, et parmi elles, certaines feront preuve d’un masque social de sérénité pour dissimuler leur souffrance intérieure.

Il est important de comprendre que contrairement aux stéréotypes, une personne dépressive ne présente pas impérativement des signes extérieurs traditionnels tels qu’un ralentissement marqué, une fatigue intense ou un visage marqué par la tristesse. Il est tout à fait possible qu’elle apparaisse joviale et souriante, alors que, dans son for intérieur, elle souffre profondément. Ce type de dépression, souvent dite « atypique », se caractérise par la dissimulation des émotions et la préservation d’une façade extérieure normale. Le sourire devient un masque destiné à cacher l’état réel du psychique, qui peut être très différent.

Concernant la question de la conscience de ce masque, il faut distinguer différentes situations : pour certains, la dissimulation des symptômes se fait de manière inconsciente, sans qu’ils en aient pleinement conscience. Pour d’autres, cette retenue peut résulter de pressions sociales ou culturelles. Par exemple, dans certaines sociétés ou pour certains hommes, il existe une injonction implicite à ne pas montrer ses faiblesses, à « serrer les dents » et à donner l’image d’une force indéfectible. Ces attentes peuvent pousser à masquer leur souffrance plutôt que de la révéler ouvertement.

Une autre difficulté réside dans la perception que la dépression doit toujours être liée à un événement précis ou à une situation de vie objectivement difficile. Beaucoup pensent qu’en l’absence de circonstances apparentes, la souffrance psychique n’est pas légitime ou n’existe pas du tout. C’est une erreur : la dépression peut survenir sans cause identifiable ou immédiate, et tout le monde n’a pas forcément les moyens ou la volonté de reconnaître cette douleur en lui-même.

Certaines personnes, par peur du jugement ou de l’étiquette de « faible », choisissent de dissimuler leur détresse, ce qui se manifeste souvent par un sourire qui masque leur mal-être. Lors d’une consultation, il est fréquent de voir cette façade fragile se fissurer : le sourire persiste, mais les yeux commencent à s’humidifier, révélant ainsi la difficulté à continuer à feindre la stabilité. Ce phénomène illustre la complexité de l’expression de la dépression chez certains individus, où la surface ne reflète en rien la réalité intérieure.

Il est aussi pertinent de se demander si ce comportement de façade est en partie influencé par le tempérament de l’individu. Cependant, il est crucial de souligner que la dépression ne se manifeste pas uniquement par une tristesse profonde. La clé de cette maladie réside davantage dans la perte de plaisir, appelée « anhédonie », ainsi que dans un ralentissement psychomoteur, c’est-à-dire la sensation que l’esprit et le corps fonctionnent au ralenti.

Tout devient alors peu vibrant, sans saveur particulière, et la vision du monde s’assombrit, pouvant apparaître en nuances de gris ou de noir. À cela s’ajoutent souvent des symptômes comme le manque d’intérêt pour les activités, une hypersensibilité, de l’anxiété ou des troubles du sommeil. Ces manifestations contribuent à l’ensemble du tableau dépressif, même si elles ne se traduisent pas nécessairement par une tristesse évidente.

Les signaux dissimulés derrière un masque social : repérer la dépression

Identifier une dépression lorsqu’une personne tente de la dissimuler n’est pas toujours évident, car ses signes peuvent être subtils et variés. La présentation peut évoluer lentement : la personne peut ressentir une différence par rapport à son comportement habituel, réduire ses repas, perdre du poids, souffrir de troubles du sommeil, voire exprimer des idées suicidaires. Elle peut également devenir plus anxieuse ou s’isoler, tout en donnant l’impression que tout va « normal » en surface.

En approfondissant la relation, il devient possible d’observer certains indicateurs indirects de souffrance. Il ne s’agit pas d’un seul signe isolé, mais d’un ensemble d’éléments qui persistent dans le temps. Cependant, beaucoup de personnes en difficulté minimisent ou rationalisent leurs symptômes : elles peuvent penser qu’admettre une dépression reviendrait à avouer une faiblesse ou une incapacité, ou craindre d’être jugées ou de devoir suivre un traitement médical.

Par ailleurs, certains profils de personnes particulièrement combatifs ou qui ont l’air très résilients sont paradoxalement plus vulnérables. Ce sont souvent des individus qui affichent une grande énergie dans leur vie quotidienne, qui travaillent intensément ou qui font preuve d’une grande résistance. Pourtant, leur capacité à supporter cette charge peut conduire à un épuisement brutal, pouvant aller jusqu’à un geste désespéré tel que le suicide. La dépression, dans ces cas, représente un risque accru, car ces personnes ont souvent du mal à repérer ou à accepter leurs propres signaux d’alerte.

Ceux qui donnent l’impression d’aller bien, en dépit d’un stress ou d’une fatigue, peuvent parfois ressentir un soulagement temporaire face à une bonne nouvelle ou à une expérience positive. Pourtant, cette amélioration est souvent de courte durée et ne signifie pas que leur état psychique est stabilisé.

Le rôle aux côtés du patient : comment accompagner la personne dépressive

Dans cette optique, le rôle du psychiatre ou de l’entourage est essentiel pour favoriser le dialogue. Il ne faut pas envisager une confrontation directe ou une démarche accusatrice du type : « tu vas mal, il faut voir un professionnel ». La communication devient plus efficace si elle repose sur l’expression de ses propres observations ou ressentis, par exemple : « j’ai remarqué que tu sembles moins disponible », « tu dors moins ces derniers temps », « je te sens préoccupé ». Ce genre de propos invite à la discussion et peut encourager la personne à verbaliser sa souffrance.

Il est aussi fondamental de souligner que la dépression ne nécessite pas obligatoirement la prise d’un traitement médicamenteux. D’autres approches, comme la psychothérapie, sont souvent recommandées en première intention pour les dépressions légères ou modérées, car elles peuvent aider à comprendre et à gérer la douleur émotionnelle. Par ailleurs, il existe des facteurs protecteurs, notamment ceux que l’on désigne comme « actions engagées ». Il s’agit d’aide à se reconnecter à ses valeurs fondamentales par des actes concrets, qui peuvent contribuer à restaurer le bien-être psychique.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.