L’héritage de la vengeance : plongée dans l’univers de Ghost of Yotei
L’image qui s’impose à l’esprit, forte et déchirante, est celle qui reste gravée en mémoire pour toute une vie. Un arbre embrasé, des cris de douleur, une petite fille fixant, horrifiée, les preuves du massacre de ses parents, clouée au tronc comme spectatrice impuissante. C’est précisément à ce moment que débute l’histoire de Ghost of Yotei. Les six brigands responsables de ce massacre la donnent pour morte, mais sans doute laissent aussi en elle une blessure invisible, un vide intérieur qui ne se refermera jamais. Jusqu’à devenir un spectre, hantant son propre destin et les terres où elle pousse sa dernière respiration. En tant qu’adulte, forte des épreuves de la bataille de Sekigahara, elle parcourt aujourd’hui ces mêmes terres comme une chasseuse implacable. Aucun de ses assaillants n’est à l’abri de sa fureur vengeresse.
Atsu, tel est son nom, sillonne depuis ses terres d’Ezo, l’actuelle Hokkaido. Nous sommes dans le début du XVIIe siècle, à une période critique où le clan Matsumae, ayant reçu l’île en fief du shogun Tokugawa Ieyasu, commence peu à peu à s’imposer sur les plaines, les montagnes, et la côte, peuplée par les autochtones Aïnous. Ce contexte évoque la conquête de l’Ouest américain, où la poussée vers la richesse et la domination pousse à la colonisation sauvage, et l’épopée y trouve un écho visuel et musical à la fois ludique et plaisant. La région n’est pas encore totalement pacifiée : ce vaste territoire inexploré a été investi par d’innombrables bandits, séduits par la promesse de prospérité sur ces terres encore vierges. Les Six de Yotei, qui empruntent leur nom à la majestueuse montagne Yotei, une élévation à l’aspect qui rappelle le mont Fuji, sont présents sur ce front. Certains dissimulés dans l’ombre, d’autres ayant conquis des territoires entiers par la seule brutalité, ils incarnent la cruauté et la violence brute. Atsu, pour sa part, les traque sans relâche, avec la seule soif de leur extermination. Son seul but : anéantir ses anciens bourreaux, sans jamais faire preuve de pitié ni de remords. Elle est l’onryo, l’esprit de la vengeance d’après le folklore local, dont la réputation mélange crainte et respect parmi les villageois.
L’appel à la découverte : une exploration majestueuse
Ghost of Yotei met sans détour l’accent sur la liberté d’explorer. La zone de jeu, immense et magnifique, invite à la contemplation et à l’émerveillement. L’univers du jeu est divisé en plusieurs régions, chacune représentant une facette distincte de cette nature encore sauvage, qui dévoile ses secrets à ceux qui prennent le temps de s’y perdre. Les fondamentaux de la série sont respectés : le héros parcourt ces paysages où chaque détail incite à la fois à la marche lente, à la relaxation, mais aussi à la réflexion. La carte n’est pas un outil précis pour toutes ses interactions : seuls les grands objectifs, comme les missions principales, y sont indiqués. Le vrai cœur du voyage se trouve dans la découverte de sanctuaires, de cachettes de renards, ou dans ces bains de rotenburo où l’on peut se détendre. Beaucoup de merveilles attendent ceux qui prennent le temps de s’attarder ou de récupérer des fragments de cartes révélant diverses cachettes ou secrets cachés. Et ces découvertes ne sont pas seulement esthétiques : elles offrent la possibilité d’obtenir de nouvelles capacités, de découvrir des équipements plus performants ou encore de renforcer sa barre de vie. La progression du héros, subtile et discrète, constitue une invitation constante à explorer pour ne pas manquer ces opportunités.
Une arme et un combat à la hauteur des légendes
Les joueurs familiers de Ghost of Tsushima retrouveront des éléments de gameplay qui leur seront familiers. La gestion des menus, des inventaires, de la progression, se rapproche fortement de celle de l’opus précédent. La forge et les artisans des villages permettent de faire évoluer son katana, de renforcer ses armures ou d’améliorer ses charms pour les rendre plus efficaces. La maîtrise de techniques differes, l’apprentissage de nouvelles armes, mobilisent également le joueur. Outre le katana, quatre autres armes se joignent désormais à lui, remplaçant les anciennes postures : le double katana, la lance (yari), un grand sabre traditionnel (odachi) et la faucille (kusarigama). Ces choix tactiques s’avèrent cruciaux lors des combats : chaque arme, en fonction de l’adversaire ou du type d’ennemi, possède ses points faibles et ses avantages. La diversité s’étend également au système d’arts martiaux, qui inclut des attaques à distance avec des bombes ou des flèches, ou encore des stratégies pour déstabiliser les ennemis par des explosions de poussière, des bombes aveuglantes. Les affrontements, souvent de grande intensité, demandent de la réactivité et de la méthode. La vie peut basculer d’un instant à l’autre, tant la menace est omniprésente.
Un jeu à la recherche de son identité
Cependant, cette quête d’ambition n’est pas sans compromis. La musique légère de Ghost of Yotei se voit souvent perturbée par des limites techniques. La caméra rencontre parfois des difficultés à suivre la rapidité des combats, ce qui peut rendre certains affrontements confus ou décevants. L’intelligence artificielle des ennemis laisse aussi à désirer, parfois à tel point qu’ils marchent droit dans le feu qu’on leur a attiré, ou qu’ils se bloquent dans des collisions étranges, donnant alors une impression de bug. Ces imperfections, bien qu’exceptionnelles, rappellent que le développement d’un monde aussi vaste et détaillé oblige à faire des concessions, notamment pour augmenter la taille et la richesse de l’univers par rapport à Tsushima. La volonté de créer un espace d’aventure plus large a certainement compliqué la stabilité technique du titre. Indulgence, on peut l’accorder : ces défauts étant liés à une ambition qui dépasse encore la technologie actuelle.
L’équilibre fragile entre magie et difficulté
Une impression, un peu désagréable, persiste malgré tout : Ghost of Yotei semble, par moments, perdre la magie du vide, essentiel dans l’expérience de Tsushima. La fluidité du voyage, cette sensation de liberté infinie pour errer librement sans but précis, se voit quelque peu ternie par une profusion de contenu. On se trouve souvent à effectuer des tâches répétitives : allumer des feux, collecter des ressources, déblayer des missions secondaires, encore et encore, jusqu’à la saturation. La densité d’activités peut devenir pesante, surtout que nombre d’entre elles semblent introduites uniquement pour faire du volume, et non pour enrichir la narration ou l’expérience. Heureusement, il est possible d’éviter ces tâches fastidieuses, ce qui montre que les développeurs ont conscience de leurs limites. Retirer ces éléments superflus contribuerait sans doute à préserver ce qui fait la beauté de la série, à savoir cette harmonie entre immersion, exploration et narration.
Une spiritualité discrète mais présente
Au-delà des mécaniques, Ghost of Yotei évoque un autre aspect essentiel : cette quête de simplicité et d’harmonie avec une nature sauvage. Le jeu invite à une approche plus contemplative, à vivre le voyage plutôt qu’à accumuler des actions ou des objets. La philosophie de l’errance, chère à Tsushima, s’y retrouve dans la possibilité de choisir de ne pas intervenir systématiquement, de laisser filer les ennemis sans confrontation, ou encore de prendre le temps d’admirer un paysage ou d’écrire un haïku pour prolonger le moment. La figure d’Atsu, loin de l’héroïne mythique, s’inscrit dans cette perspective plus rude, plus réaliste, privilégiant la simplicité d’une vie en harmonie avec la nature brute du Japon ancien. Sa rencontre avec les autochtones Aïnous, souvent marginalisés, son alliance avec un loup, et sa détermination à protéger la faune locale illustrent cette beauté presque secrète, tissée dans ces détails minutieux. Autour du mont Yotei, cette aventure s’impose comme une odyssée qui, malgré ses imperfections, offre une expérience profonde, au croisement de la culture, de la nature et du combat intérieur.
En bref : un retour sincère à l’art du jeu d’aventure japonais
Ghost of Yotei, publié par Sony et développé par Sucker Punch, sur la console PS5, se présente comme une œuvre ambitieuse mais imparfaite. La direction artistique impressionne par la cohérence et la qualité des paysages, bien que certains textures et animations puissent encore s’améliorer. La bande sonore, inspirée par le western et le genre chanbara, constitue une réussite majeure, apportant une touche d’originalité à la série. Sur le plan du gameplay, la diversité des armes et des techniques combat rend chaque affrontement stimulant, surtout si la maîtrise de chaque style est acquise. La narration d’Atsu, moins lyrique que celle de Jin Sakai, s’inscrit dans un réalisme brutal et poignant, renforçant la dimension authentique de l’histoire. Malgré ces qualités, Ghost of Yotei a ses limites : une caméra parfois capricieuse, des bugs techniques, une tendance à la surenchère de contenu qui peut parfois fatiguer. La magie du vide, si essentielle dans l’expérience précédente, s’est un peu émoussée dans cette nouvelle aventure, mais l’âme du titre persiste dans ses petites idées, ses détails culturels, sa volonté de proposer une expérience à la fois immersive et contemplative. Au pied du mont Yotei, se dessine ainsi une œuvre qui, malgré ses aspérités, pourrait bien devenir un classique du genre.






