Pourquoi les Américains achetaient-ils les voitures fabriquées le mercredi dans les années 70 ?

Sophie Lambert

L’image mystérieuse de la fabrication automobile : pourquoi les voitures produites un mercredi étaient considérées comme supérieures

Pendant les années 1970 en Amérique, circulait une rumeur persistante selon laquelle les véhicules les plus fiables étaient ceux qui sortaient de l’usine le mercredi. Certains la prenaient pour un mythe, d’autres la considéraient comme une superstition ou encore une astuce bien rodée pour repérer des voitures de meilleure qualité. En réalité, cette croyance s’appuyait sur une explication concrète liée aux habitudes des ouvriers de Detroit, la capitale historique de l’industrie automobile américaine, où étaient assemblés les véhicules des principaux groupes automobiles américains.

### Pourquoi la production du mercredi était-elle réputée meilleure ?

L’origine de cette légende repose sur la mode des paiements des ouvriers. Là-bas, dans les usines de Detroit, les travailleurs étaient rémunérés chaque semaine. Leur paie leur parvenait généralement le jeudi, ce qui était un détail qui n’avait pas échappé aux observateurs ou aux vendeurs de rêves liés à l’automobile. Cette particularité répétait que le mercredi était le dernier jour de la semaine où une voiture pouvait être considérée comme étant « sauvée » de l’effet de l’abus de weekend, lieu commun pour la consommation excessive d’alcool et de fêtes. Un phénomène qui a influencé la perception de la qualité des voitures produites ce jour-là.

### La familiarité des habitudes et ses conséquences

Grâce à cette organisation salariale, un nombre considérable d’ouvriers prenaient l’habitude, dès le jeudi soir, de célébrer leur nouveau revenu en se livrant à des excès, souvent d’ordre alcoolique. Ces comportements ont laissé une empreinte durable dans la perception collective de la qualité des véhicules fabriqués à cette période. Par exemple, dans son roman “Detroit”, publié en 1971, Arthur Hailey relate comment cette pratique a eu un impact direct sur la fiabilité des voitures. Le vendredi et le lundi, les journées de fabrication étaient marquées par une baisse de productivité et un taux accru d’accidents. La fatigue, combinée à un manque d’attention, rendait les équipages plus vulnérables, ce qui donnait un air de dégradation aux véhicules sortant ces jours-là.

De plus, comme de nombreux ouvriers étaient payés à l’heure, certains choisissaient de profiter du lundi et du vendredi pour rester chez eux ou dormir, ce qui impactait l’efficacité et la qualité des productions. Dans cette optique, la fabrication du mercredi ou du jeudi apparaissait comme étant moins affectée par ces problèmes liés aux habitudes excessives ou à la fatigue.

### La légende du jour de fabrication et ses implications

Une rumeur tenace s’est propagée au fil des années, surtout depuis Detroit : il était déconseillé d’acheter une voiture produite un vendredi ou un lundi. En revanche, les acheteurs étaient invités à cibler ceux fabriqués le mercredi ou le jeudi, en pensant qu’ils seraient moins exposés à des défauts dus à l’état d’ébriété ou à la fatigue des ouvriers. La question qui se pose est de savoir si l’on pouvait véritablement connaître la date précise à laquelle une voiture était assemblée. Pouvait-on tomber sur cette information lors de l’achat d’un véhicule neuf ?

### La réalité derrière la légende urbaine

Dans un article publié en 1972 par la revue “Popular Mechanics”, un certain Robert Lund rappelle qu’il est impossible de choisir précisément le jour de fabrication d’un véhicule neuf. La production est organisée en flux continus et automatisés, rendant toute détermination de la journée d’assemblage difficile, voire impossible pour le consommateur. Néanmoins, cela n’a pas empêché certains concessionnaires à Detroit de jouer sur cette croyance. Ceux-ci, exploitant leur proximité supposée avec l’usine, garantissaient à leurs clients qu’ils leur livreraient une voiture fabriquée un mercredi. Le stratagème consistait souvent à renforcer la légende pour attirer une clientèle soucieuse de la qualité.

### Quand la superstition devient argument commercial

À travers tout le pays, on relayait que les voitures des responsables d’usine étaient systématiquement programmées pour sortir de la chaîne le mercredi, ou que certains concessionnaires avaient noué des relations suffisamment étroites pour n’obtenir que des véhicules produits ce jour-là. Ces récits ont alimenté une véritable obsession pour acheter une voiture produite à cette période de la semaine. La légende a ainsi donné naissance à une croyance selon laquelle il valait la peine de parcourir des kilomètres pour se rendre à Detroit ou dans ses environs afin de signer au plus vite un bon de commande, convaincus qu’ils choisissaient la meilleure qualité. Toutes ces notions relèvent souvent du folklore, mais elles trouvaient une certaine crédibilité dans l’imaginaire collectif.

### En conclusion

Il ne faut pas perdre de vue que cette idée repose principalement sur des légendes urbaines, alimentées par des rumeurs et des stratégies de marketing habiles. Comme l’indique encore Robert Lund, tout cela ne repose sur aucune certitude technique ou factuelle. La fabrication des voitures modernes a radicalement évolué depuis cette époque, rendant toute spéculation sur le jour de production obsolète. Pourtant, cette croyance témoigne de l’importance accordée à la qualité et à l’origine du produit dans l’esprit des consommateurs, ainsi que de la puissance du mythe dans l’univers de l’automobile.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.