Histoire d’une escroquerie sentimentale : le récit d’Olivia
Une initiation à la relation virtuelle
Olivia, une femme de 44 ans dont le prénom a été modifié pour préserver son identité, débute son témoignage en qualifiant son expérience de « classique ». En 2021, alors que la pandémie de Covid-19 sévit encore, cette mère célibataire, ayant été abandonnée par le père de son enfant alors qu’elle était enceinte, décide de s’inscrire sur un site de rencontres. Travaillant principalement à distance, elle ressent une solitude pesante et cherche à combler ce vide. Sur la plateforme Adopteunmec, elle tombe rapidement sur un profil d’homme qu’elle trouve séduisant, présenté avec une photo en noir et blanc. Elle fait le premier pas en lançant la conversation, initiant ainsi un échange qui va rapidement prendre de l’ampleur. Au fil des échanges, ils découvrent plusieurs points communs : lui également dans la quarantaine, originaire du Portugal, père de deux enfants qu’il élève seul après avoir perdu son épouse. Leur relation virtuelle s’intensifie, et une relation de confiance s’instaure, accompagnée d’un sentiment de dépendance. Elle se remémore : « Nous échangions beaucoup de messages, de photos. Chaque matin, il me demandait si j’avais bien dormi. Rapidement, il m’a fait des déclarations passionnées, disant qu’il avait flashé en voyant mes photos. Quand on se sent seul, ça fait du bien d’entendre ce genre de mots, ils viennent combler un besoin », raconte-t-elle.
La première demande financière
Après plusieurs jours d’échanges, Olivia propose d’échanger par téléphone pour pouvoir parler en direct. « Il avait un accent, ce qui m’a tout de suite surpris, mais je croyais que c’était simplement un accent étranger en France, donc ça ne m’a pas choquée. Avec le recul, je sais maintenant que ce n’était pas un accent portugais, mais à l’époque, ça semblait crédible », confie-t-elle. Elle ne voit pas d’inconvénient à continuer la relation, d’autant qu’elle a également vécu à l’étranger, en Amérique du Nord, ce qui lui permet de comprendre les difficultés que peut rencontrer un expatrié. Peu de temps après, l’homme lui explique qu’il fabrique des bijoux avec des pierres précieuses et qu’il rencontre un problème pour accéder à son site internet professionnel. Pour débloquer la situation, il lui demande initialement 50 euros, une somme qu’elle accepte, sans trop se poser de questions. Elle explique : « Je ne comprenais pas comment j’avais pu céder aussi facilement, mais j’étais dans une phase de vulnérabilité, et il a su jouer sur mes sentiments. » Elle se rend rapidement dans un bureau de tabac pour acheter des coupons PCS, une méthode courante pour ce genre d’arnaques, car cela permet de créditer des cartes de paiement sans trace.
Le piège se referme
Une fois la première somme envoyée, l’arnaqueur ne se contente pas de cela et multiplie ses stratagèmes pour soutirer davantage d’argent. « Il trouvait constamment une nouvelle raison pour demander de l’argent, en augmentant le montant à chaque fois. Il m’envoyait aussi des photos de bijoux qu’il prétendait fabriquer pour des personnalités, y compris une photo où il se trouvait avec l’actrice américaine Blake Lively et son mari Ryan Reynolds, dans un restaurant, en train de feuilleter un catalogue. La photo ne comportait pas de masque, ce qui paraissait étrange en pleine crise sanitaire », raconte Olivia. Les arnaqueurs ont recours à des montages sophistiqués ou parfois générés par intelligence artificielle pour donner de la crédibilité à leurs fausses preuves. Malgré cela, l’obsession de maintenir la relation d’affection et de flatter Olivia demeure, et il continue à envoyer des messages tendres, cherchant à renforcer leur lien factice.
Les menaces et la culpabilisation
Au fil du temps, la situation devient de plus en plus grave. Olivia, qui a déjà perdu près de 9 000 euros, voit ses histoires devenir de plus en plus invraisemblables : il prétend être coincé à la douane en Afrique alors qu’il devrait récupérer des pierres précieuses, ou que ses comptes sont bloqués, ou qu’il n’a plus d’argent pour payer un hôtel alors qu’il voyage avec ses enfants. La plus terrible de ses manipulations survient lorsqu’il la convainc que si son propre fils meurt ou reste dans le coma, elle en serait responsable. « Il me disait que si son enfant mourait, ce serait de ma faute, qu’il comptait sur moi. Il a même exigé 3 000 euros pour payer les frais médicaux » explique Olivia. Face à cette pression émotionnelle et à la culpabilisation, elle finit par céder une dernière fois, malgré ses doutes. Elle va acheter des codes de recharge pour cartes et les lui transmettre, croyant encore à une relation sincère.
La prise de conscience et la sortie du piège
Le moment décisif survient lorsque Olivia, sous pression, refuse de continuer à envoyer de l’argent. Elle commence à percevoir la supercherie et à retrouver une lucidité qu’elle avait perdue. Elle raconte : « J’ai retrouvé mon cerveau, j’ai décidé d’arrêter. J’ai parlé à une amie qui m’a avertie, et c’est comme si j’avais enfin compris. Je ne pouvais plus continuer à croire à ces histoires. » Elle décide alors de couper tout contact avec son prétendu amoureux et de tourner la page. La période qui suivit dura près d’une année, durant laquelle elle a mis du temps à se remettre psychologiquement. Olivia, qui se dit plutôt à l’aise avec les outils numériques, confie que cette expérience lui a surtout montré à quel point la confiance peut être mise à mal. Elle ajoute : « C’est une spirale sans fin, on perd tout sens commun face à ces escroqueries. La relation commence par une approche affective, et elle exploite la sentiment de solitude comme un levier. » Depuis cette épreuve, elle a changé tous ses comptes sur les réseaux sociaux et a abandonné définitivement les sites de rencontres. Pour se reconstruire, elle regarde désormais des vidéos où des victimes expliquent comment elles ont été trompées par des brouteurs, afin de mieux comprendre ce qu’elle a traversé.
Comment reconnaître un brouteur ?
Même en étant vigilante, il est facile de tomber dans les pièges tendus par ces escrocs. Voici quelques conseils pour se prémunir contre eux : ne jamais partager de documents personnels tels qu’un passeport ou une carte d’identité, ni donner d’informations sensibles comme un code bancaire ou une adresse. Méfiez-vous des profils qui semblent parfaits, et n’hésitez pas à faire une recherche inversée d’images pour vérifier si leurs photos circulent ailleurs sous un autre nom. Soyez également attentif à des déclarations d’amour précoces et excessives, ou à des histoires dramatiques du style accident, maladie ou héritage bloqué, souvent suivies d’une demande d’argent immédiate. Il est conseillé d’organiser un appel vidéo rapidement dans la conversation : un brouteur évitera généralement le contact visuel en direct. Enfin, jamais n’envoyez d’argent, même sous prétexte d’un paiement de caution ou d’un urgent besoin de secours : ces personnes construisent des scénarios pour vous faire céder rapidement, en créant une urgence artificielle.
Ce témoignage n’est qu’un exemple parmi d’autres de ces manipulations qui exploitent la vulnérabilité affective pour mieux tromper. La vigilance reste la meilleure arme pour éviter de tomber dans le piège de ces brouteurs, qui savent repérer et exploiter chaque faille émotionnelle.