La Fashion Week parisienne : un miroir des tendances en mutation
Cette semaine, la capitale française a été le théâtre d’un événement majeur dans le monde de la mode : le lancement de la Fashion Week. Pendant plusieurs jours, défilés et présentations ont attiré l’attention du secteur, mais aussi du public, sur les nouvelles orientations que prennent les grands créateurs et maisons de couture. Les images qui défilaient lors des shows, notamment ceux des maisons de haute couture, illustrent une tendance qui ne date pas d’hier mais qui semble désormais s’intensifier : le retour en force d’un certain idéal de minceur. En effet, depuis quelques saisons, on observe un regain d’intérêt pour des silhouettes extrêmement fines, reléguant petit à petit à l’arrière-plan le mouvement de body positivity qui s’était développé durant la dernière décennie. Si, il y a encore peu, la diversité des corps semblait s’être installée durablement dans l’industrie de la mode, cette dynamique semble aujourd’hui connaître un recul.
Jusqu’à il y a peu, la représentation de la pluralité des morphologies sur les podiums, dans les campagnes publicitaires ou dans la presse spécialisée, constituait une étape importante vers une inclusivité plus réelle. Mais en observant de près les tendances des grandes marques, il apparaît que celles-ci tendent à privilégier à nouveau les mannequins affichant des tailles 32, 34 ou 36. Et ce constat n’est pas fortuit, car la majorité des grandes enseignes, outre leur influence sur la mode de demain, sont souvent les premières à donner le ton lors des défilés et des saisons.
Le poids des grandes maisons de luxe dans le renouveau de la minceur
Selon Hervé Mouyal, agent de mannequins et passionné de mode, on constate depuis deux ou trois saisons un retour notable à une esthétique de la maigreur, qui semble même se renforcer dans certains cas. La tendance n’est pas figée, précisent-ils, car il subsiste une certaine instabilité dans l’évolution des styles, mais force est de constater que, dans l’Hexagone, en tant que pays considéré comme le berceau de la mode, les grandes griffes du luxe jouent un rôle déterminant en fixant ce que sera la norme. Lors des défilés, la sélection des mannequins, notamment ceux avec des modèles aux silhouettes très filiformes, traduit clairement cette orientation. Lorsque les nouvelles directions artistiques se tournent vers des modèles avec des formes plus généreuses, cela reste encore exceptionnel, et leur passage en show n’est pas encore la règle.
Le secteur de la mode, souvent critiqué pour ses critères restrictifs, présente aussi une hypocrisie manifeste quant à la diversité corporelle : lorsque l’on évoque la morphologie considérée comme “grande taille” ou “curve”, on ne parle en réalité que de silhouettes allant jusqu’au 38, voire 40, rarement plus. Pourtant, la taille moyenne des Françaises se situe généralement entre le 40 et le 42, ce qui souligne un décalage notable entre la réalité physique de la majorité et les standards proposés dans la mode. Hervé Mouyal pointe également que dans ce milieu, les femmes incarnant des morphologies plus “size” peinent encore à obtenir des opportunités : « On observe que la vague des grandes tailles est actuellement à la baisse, notamment en France, mais également à l’échelle internationale. Aux États-Unis, par exemple, beaucoup de mannequins se tournent vers des médicaments comme l’Ozempic pour réduire leur poids, en raison du manque d’opportunités professionnelles. Le marché étant peu demandeur, certaines optent pour ces solutions pour continuer à vivre de leur métier. La limite de tout cela, n’est-elle pas la grossophobie structurelle du capitalisme ? » questionne-t-il.
Des standards profondément ancrés dans les diktats de la mode
Élodie Oldeman, mannequin ayant évolué dans le secteur depuis une dizaine d’années, témoigne elle aussi de la persistance d’un certain modèle. Après avoir débuté sa carrière avec une taille 36, elle a collaboré avec plusieurs maisons, y compris de haute couture, avant de devenir experte dans le domaine des morphologies plus épaisses. Aujourd’hui encore, elle travaille ponctuellement pour des grandes enseignes, mais constate avec regrets que l’industrie privilégie encore massivement la silhouette fine. Elle souligne : « On a enfin compris qu’il était naturel que le corps des femmes change au fil du temps, mais la réalité c’est que les diktats de la mode restent très ancrés. La haute couture, ainsi que le prêt-à-porter, n’ont pas encore intégré cette évolution parce qu’on vit dans un monde qui nie la vieillesse, ou considère l’imperfection comme un défaut. Cette conception influence aussi ce que l’on montre ou ce que l’on vend, notamment en matière de tailles acceptables. »
Les marques grand public : entre progressisme limité et retours en arrière
Le défilé d’Etam lingerie en est une illustration parlante. En 2019, la marque avait initié une campagne “body positive” baptisée #FeelFree, lors de laquelle défilèrent des mannequins de différentes tailles, dans une démarche en apparence inclusive. Cependant, en 2023, le même label a abandonné cette ligne pour revenir à une sélection de modèles très minces lors de son dernier défilé. Hervé Mouyal relève cette contradiction : « Le show d’Etam mettait en scène des filles extrêmement maigres, ce qui n’est pas un bon signe. En tant que marque grand public, qui cible aussi la jeunesse, elle envoie un message ambigu en valorisant ces corps-là, alors que cela ne correspond pas du tout à la diversité réelle de la population. »
Il semble donc que de nombreuses enseignes, même celles qui ont adopté un discours inclusif, peinent à faire évoluer leur image et leur vision de la beauté. La difficulté pour elles réside dans le fait de concilier luxe et prestige avec des représentations corporelles diverses, notamment grandes tailles, qui restent encore peu valorisées.
La grande taille : une accessibilité encore sautée en boutique, mais présente en ligne
Tania, créatrice de contenu en ligne, explique sa vision de la mode grande taille. Elle évolue dans ce domaine depuis plusieurs années, partageant quotidiennement des looks en taille 46/48 et tentant d’inciter ses abonnés à aimer leur corps. Elle constate que, malgré quelques progrès, le chemin vers l’égalité des chances demeure long. « Quand je regarde il y a 15 ans, il y a eu des avancées, notamment au niveau de l’offre en ligne, avec des sites comme Asos, Mango, H&M ou Kiabi. Ces marques proposent aujourd’hui un vrai choix de grandes tailles, ce qui était impensable il y a une décennie. En revanche, en boutique, il y a peu de choix, et l’on a souvent l’impression d’être reléguée à la commande sur Internet », déplore-t-elle.
Tania souligne également que, malgré la mobilisation autour du mouvement “body positive”, la réalité n’a pas beaucoup changé. Elle ajoute : « Les grandes marques qui proposaient déjà des tailles plus volumineuses ont en partie modernisé leur image, mais il reste encore beaucoup à faire. La société, pourtant, aurait besoin d’une véritable révolution dans la façon dont elle perçoit la diversité corporelle. »
Une manne encore peu exploitée par la mode grand public
Malgré une demande croissante pour des vêtements adaptés aux tailles fortes, l’industrie de la mode grand public reste encore très prudente dans ce secteur. Les petites marques, comme Almé ou Make My Limonade, tentent néanmoins de prendre leur place, mais leur impact est encore marginal. La raison de cette timidité réside en partie dans des logiques de marché qui privilégient encore la minceur comme critère de beauté acceptable, malgré la demande non négligeable des consommateurs. Tania s’interroge : « Pourquoi les grandes enseignes ne profitent-elles pas davantage de cette demande ? La grossophobie, dans ce cas, ne serait-elle pas une barrière insurmontable pour certains acteurs du secteur ? »
Ce phénomène dépasse même le simple domaine de la mode : il se manifeste également sur les réseaux sociaux, où certaines tendances, comme le mouvement #SkinnyTok, ont valorisé des comportements alimentaires extrêmes pour atteindre l’idéal minceur. Ces tendances, très populaires il y a quelques mois, ont malheureusement laissé des séquelles sur la santé mentale de nombreuses jeunes filles, révélant combien la quête de la minceur peut être destructive.
Une réflexion sur les limites du capitalisme et les normes sociales
Le retour en force de la minceur dans la mode et les réseaux sociaux soulève une question plus profonde : jusqu’où le système capitaliste sera-t-il prêt à aller pour continuer à imposer ses standards ? La grossophobie, en tant que pratique discriminatoire profondément ancrée dans la société, semble agir comme une barrière invisible mais puissante à la diversification des corps. Pour certains, cette résistance n’est pas seulement liée à une question esthétique, mais reflète aussi une volonté de maintenir une norme qui valorise la minceur comme critère universel de beauté et de réussite sociale.
Se pose alors la question de la responsabilité des acteurs économiques face à cette situation : continuer à privilégier une esthétique unique, ou évoluer vers une représentation plus fidèle à la diversité de la population ? La pertinence de cette interrogation touche aussi à la santé mentale des jeunes générations, dont l’image et le bien-être sont souvent sacrifiés face à des standards absurdes, que ce soit dans la mode ou sur les réseaux sociaux. La guerre aux corps qui ne cadrent pas avec ces idéaux minimalistes soulève une réflexion essentielle : la frontière entre évolution sociale et maintien d’un système discriminatoire ne tient parfois qu’à peu de chose.






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