L’inflammation liée à l’âge dépend du mode de vie, pas du temps

Sophie Lambert

L’inflammaging : une inflammation liée à l’âge remise en question

Une notion couramment évoquée dans la recherche sur le vieillissement porte le nom d’inflammaging, ou inflammation associée au vieillissement. Il s’agit d’un état d’inflammation chronique qui se développe avec l’âge, contribuant à une dégradation globale de la santé, un affaiblissement du bon fonctionnement des organes, et augmentant le risque de développer diverses maladies telles que les cancers, le diabète ou encore Alzheimer. Historiquement, cette inflammation persistante était considérée comme une caractéristique universelle du vieillissement chez l’humain. Cependant, une étude récente vient nuancer cette vision en montrant que cette inflammation liée à l’âge ne serait pas systématique dans toutes les populations.

Une étude italienne pour mieux comprendre l’inflammaging

Le 30 juin dernier, une recherche publiée dans la revue Nature Aging a remis en cause cette conception acceptée jusqu’alors. Elle s’appuie notamment sur les travaux de l’étude italienne appelée InCHIANTI. Ce projet a permis d’identifier dix-neuf cytokines, des biomolécules produites par le système immunitaire, qui fonctionnent comme des indicateurs du niveau d’inflammation associé au vieillissement. Ces molécules ont été repérées comme des marqueurs fiables pour mesurer cette inflammation chronique. Par la suite, une équipe de chercheurs de la Columbia University Mailman School of Public Health a cherché à déterminer si ces mêmes marques pouvaient être observées dans diverses populations vivant dans des contextes très différents. Leur étude a porté sur des populations occidentales vivant dans des sociétés industrialisées telles que Singapour, ainsi que sur des groupes autochtones peu ou pas exposés à nos modes de vie modernes, notamment les Tsimané en Bolivie et les Orang Asli en Malaisie.

Les résultats ont été surprenants : si la signature biologique de l’inflammaging était similaire chez les populations des pays industrialisés, cette similitude n’était pas retrouvée chez les groupes autochtones non industrialisés. Chez ces populations, la présence d’inflammation élevée était principalement liée à des infections présentes dans leur environnement, et non à l’âge ou au processus de vieillissement en soi. En d’autres termes, chez eux, l’inflammation chronique n’apparaissait pas comme une conséquence inévitable du vieillissement, mais comme une réponse aux infections et conditions sanitaires spécifiques à leur mode de vie.

Une inflammation qui ne s’accroît pas avec l’âge dans certains contextes

Selon Alan Cohen, principal auteur de l’étude et professeur agrégé en sciences de la santé environnementale à la Columbia Mailman School, il existe dans les environnements industrialisés des liens évidents entre inflammations chroniques et maladies telles que l’insuffisance rénale chronique. Toutefois, dans les populations où les taux d’infection sont élevés, l’inflammation semble davantage refléter la charge infectieuse que le processus de vieillissement. Par exemple, chez les Tsimané et les Orang Asli, même si une majorité d’individus souffrent d’infections parasitaires ou persistantes, ces inflammations ne tendent pas à augmenter avec l’âge, contrairement à ce qui est observé dans nos sociétés modernes. De plus, ces populations présentent peu ou pas de maladies chroniques telles que le diabète, les affections cardiovasculaires ou neurodégénératives, qui sont pourtant devenues communes dans les sociétés industrialisées.

Cela soulève une interrogation importante : l’inflammaging, tel qu’il est connu dans nos sociétés modernes, pourrait ne pas être une conséquence intrinsèque du vieillissement biologique, mais plutôt une réponse aux conditions de vie et aux expositions environnementales propres aux sociétés industrielles. En ce sens, le vieillissement immunitaire ne serait pas universellement caractérisé par une augmentation inflammatoire, mais dépendrait largement du mode de vie et de l’environnement.

Une hypothèse qui remet en cause l’universalité des biomarqueurs du vieillissement

Les résultats de cette étude invitent à repenser l’idée selon laquelle certains biomarqueurs auraient une validité universelle pour estimer le vieillissement biologiques. En réalité, ces marqueurs inflammatoires semblent fortement influencés par les facteurs environnementaux, les expositions spécifiques et la fréquence des infections. Le vieillissement immunitaire pourrait donc bien être une réponse conditionnée par notre mode de vie, plutôt qu’une étape biologique inévitable liée à l’âge.

Les implications sont considérables : il est possible que l’inflammaging ne soit pas une fatalité du temps qui passe, mais une réponse adaptative ou pathologique liée à nos environnements modernes. Comprendre précisément ces interactions pourrait être essentiel pour développer des stratégies de santé publique adaptées, visant à réduire l’impact du mode de vie moderne sur la santé à long terme. Par exemple, il serait pertinent d’étudier comment limiter les inflammations chroniques chez les populations exposées aux conditions de vie industrielles, tout en respectant la diversité des expériences biologiques selon les modes de vie.

En résumé, cette recherche met en lumière que la relation entre l’âge, l’inflammation et la santé n’est pas aussi simple qu’elle l’était autrefois envisagée. L’inflammaging pourrait être principalement le produit de facteurs liés à notre environnement et à notre mode de vie, plutôt qu’un phénomène universel auquel tout humain serait soumis de la même manière. Comprendre cette complexité pourrait ouvrir de nouvelles voies pour améliorer la longévité et la santé à l’échelle mondiale.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.