Journée mondiale des gauchers : sont-ils vraiment plus créatifs que les droitiers ?

Sophie Lambert

Légendes et stéréotypes autour des gauchers : une réalité moins évidente qu’elle n’y paraît

Parmi les figures célèbres qui ont marqué l’histoire ou la culture populaire, plusieurs ont partagé une caractéristique inhabituelle : leur main préférée est la gauche. Lewis Carroll, créateur de l’univers d’Alice au pays des merveilles, ou encore la légende musicale David Bowie, ont tous deux été gauchers. La liste ne s’arrête pas là : Marilyn Monroe, le génie de la Renaissance Léonard de Vinci, l’impérial Jules César, le physicien Albert Einstein, ou encore le compositeur Beethoven, jusqu’à Isaac Newton et même Bart Simpson, personnage emblématique de la télévision, sont tous rattachés à cette particularité. La proportion de gauchers dans la population mondiale est estimée à seulement 10 %, ce qui confère à cette minorité une certaine singularité.

Au fil des siècles, la perception de la gaucherie a évolué. Autrefois pénalisés, souvent considérés comme étant maladroits ou mal adaptés, les gauchers jouissent aujourd’hui d’une réputation plutôt flatteuse. On leur prête une imagination débordante et une capacité à penser de manière plus originale que leurs homologues droitiers. En effet, il semblerait que leur cerveau soit doté d’une aptitude particulière à la pensée divergente : cette faculté consiste à envisager simultanément plusieurs solutions possibles pour répondre à une même problématique, plutôt que de s’en tenir à une seule réponse évidente. Cette démarche favorise la créativité, la flexibilité mentale et l’innovation, des qualités très prisées dans le monde actuel.

Selon Daniel Casasanto, professeur en psychologie à l’Université de Cornell à New York et responsable du laboratoire dédié à l’expérience et à la cognition, cette capacité à penser de façon divergente serait davantage associée à l’hémisphère droit du cerveau. Étant majoritairement dominant chez les gauchers, cela soulève une question essentielle : sont-ils réellement plus innovants ou créatifs que les droitiers ? La réponse n’est pas évidente et reste sujette à débat.

Les idées reçues face à la question de la créativité des gauchers

Pour tenter d’y voir plus clair, Daniel Casasanto et son équipe ont entrepris une analyse approfondie de la littérature scientifique. Leur objectif était de savoir si, statistiquement, les gauchers se distinguent réellement par leur créativité ou si cette réputation ne serait qu’un mythe. Ils ont examiné près de 1 000 études publiées depuis le début du XXe siècle. Toutefois, la majorité d’entre elles ont été exclues, car non standardisées, ou bien se concentraient uniquement sur des droitiers. Au final, seules 17 recherches se sont révélées réellement pertinentes et exploitables pour cette méta-analyse.

Les résultats, publiés le 27 juin dans la revue Psychonomic Bulletin and Review, remettent en question l’idée selon laquelle être gaucher conférerait un avantage en matière de créativité. Il ressort en effet que ces derniers ne sont pas intrinsèquement plus créatifs que les droitiers. Au contraire, le rapport indique même que ceux-ci présentent parfois une légère supériorité en ce domaine. Daniel Casasanto précise dans un communiqué que « l’ensemble de la littérature scientifique ne soutient pas la thèse d’une créativité accrue chez les gauchers. La majorité des données ne montrent aucun avantage spécifique, voire favorisent légèrement ceux qui ont la main droite. »

Ce constat a été confirmé par une autre étude majeure menée sur un vaste échantillon de la population américaine. Celle-ci portait sur 12 000 individus répartis dans 770 professions. Leur classement professionnel était basé sur des critères liés à l’originalité, au raisonnement inductif ou à d’autres formes de réflexion considérées comme créatives. Résultat : les gauchers étaient sous-représentés dans les métiers où la créativité est valorisée, à l’exception de deux secteurs en particulier : l’art et la musique. Il apparaît donc que, dans la majorité des domaines, porter la main gauche n’est pas un atout en soi pour atteindre une excellence créative.

< h2>La popularité du stéréotype de la gaucherie exceptionnelle

Face à ces résultats, une question persistante se pose : comment expliquer cette idée largement répandue selon laquelle les gauchers seraient naturellement plus inventifs ou originaux ? La notion d’« exceptionnalisme gaucher » tente d’apporter une réponse. Elle repose sur cette hypothèse selon laquelle il existerait une corrélation entre la rareté d’être gaucher et la capacité à faire preuve de créativité hors normes. En d’autres termes, la rareté de cette caractéristique serait une dimension qui favoriserait des talents exceptionnels.

Un autre aspect pourrait également alimenter cette croyance : il s’agit du lien souvent évoqué entre gaucherie, art et troubles mentaux, un phénomène désigné sous le nom de « mythe de l’artiste torturé ». Selon cette idée, le fait d’être gaucher aurait un rapport avec une sensibilité exacerbée ou avec une fragilité psychologique qui pourrait, dans certains cas, pousser à la création artistique intense ou à une certaine forme de mal-être. Ce stéréotype, largement entretenu, participe à renforcer la légende selon laquelle les gauchers seraient naturellement doués pour la créativité.

Cependant, ces assertions ne tiennent pas face à la réalité statistique. La concentration de gauchers parmi les artistes ou musiciens n’est pas une preuve en soi d’un avantage inné. Comme l’explique Daniel Casasanto, se focaliser uniquement sur ces deux domaines revient à faire une erreur. « Il est courant de penser que, puisqu’il y a beaucoup d’artistes et de musiciens gauchers, cela signifie qu’ils sont plus créatifs. Or, si l’on analyse l’ensemble des professions avec objectivité, l’avantage apparent disparaît largement. » La réalité est donc plus nuancée : cette popularité est surtout un biais basé sur quelques exemples remarquables, plutôt que sur une véritable supériorité intrinsèque.

En somme, si la réputation des gauchers comme étant plus innovants ou inventifs perdure, les études scientifiques contemporaines tendent à relativiser ces idées. La différence en termes de créativité entre gauchers et droitiers ne serait pas significative, voire pourrait aller en faveur de ces derniers. La perception de leur exceptionnelle originalité relève sans doute plus d’un ensemble de stéréotypes et de mythes que d’une réalité scientifique établie.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.