Il y a 70 ans, Jean Rédélé a créé la marque de voitures Alpine.

Sophie Lambert

L’Ascension et la Difficulté d’une Marque Légendaire : La Naissance et la Crise d’Alpine

Les débuts de Jean Rédélé dans l’univers automobile remontent à ses premiers kilomètres au volant d’une Renault 4CV. Âgé alors de la plus jeune concessionnaire Renault en France, il se passionne rapidement pour la performance de cette petite voiture, en particulier par le rapport poids/puissance. Sa volonté d’améliorer la vitesse, la maniabilité et la légèreté de sa voiture l’amène à la modifier en la rendant plus légère, afin d’obtenir un meilleur rendement en virages et sur la route. Cette quête de performance personnelle le pousse bientôt à participer à diverses compétitions automobiles.

Dès son premier raid sportif, le rallye Dieppe-Rouen, il remporte la victoire, ce qui constitue une étape importante dans sa carrière sportive. En 1952, il s’engage aux Mille Miglia, une course de légende italienne, où il décroche la première place dans sa catégorie. Ce n’est qu’aux Alpes que ses résultats atteignent un sommet, avec la victoire dans le Critérium des Alpes, une course qu’il considère comme la plus significative de sa carrière naissante. Ses petites Renault 4CV ne tardent pas à surpasser en performance celles de Renault même, devançant systématiquement leurs homologues lors des courses auxquelles elles participent. En 1954, Rédélé décide alors de créer lui-même la voiture de ses rêves. La carrosserie est conçue à Saint-Maur, dans la région parisienne, et l’assemblage se déroule dans un garage situé dans le 18e arrondissement de Paris, dans la rue Forest, dans une ambiance artisanale qui marque les premiers pas de ce qui deviendra une grande marque.

Un nom emblématique en hommage à la montagne

Les voitures Alpine prennent place dans l’univers de la compétition en utilisant des moteurs issus directement de Renault. La création de la première A106 est en partie financée par le beau-père de Rédélé, qui investit dans cette aventure. Le choix du nom ne doit pas être laissé au hasard : il s’agit d’un hommage à la Coupe des Alpes, une course mythique qui symbolise la légèreté, la puissance maîtrisée et la joie de piloter. Le nom Alpine transmet également une image d’élégance associée à la facilité de conduite et à l’agilité, tout en étant accessible financièrement grâce à l’usage de pièces en grande série, permettant de limiter les coûts tout en conservant une performance remarquable. Le logo, par la suite, s’inspire d’un A stylisé, associé à la couleur “Bleu France”, évoquant aussi bien les montagnes enneigées que les routes sinueuses des hauteurs alpines. La référence à l’histoire de la marque est renforcée par le nom de la première voiture, A106, qui combine la lettre A d’Alpine avec les trois premiers chiffres de la Renault 4CV, modèle de base.

L’ascension de la légende Alpine vient avec la présentation de la A110

L’histoire symbolique de la marque Alpine repose surtout sur l’émergence d’un modèle mythique : la A110, dévoilée en 1962 au salon de Paris. Appelée aussi Berlinette, cette voiture rencontre un succès immédiat et devient une figure incontournable dans le monde des rallyes. Son comportement en compétition est redoutable : en 1971, elle décroche son premier titre de champion d’Europe des constructeurs en rallye, et deux années plus tard, en 1973, elle devient la première championne du monde des rallyes, avec un total de 147 points, surpassant largement Fiat (84 points) et Ford (76 points). Dès 1965, les liens entre Alpine et Renault se renforcent, les voitures étant distribuées dans le réseau du constructeur français à partir de 1966, ce qui marque le début d’une collaboration durable.

Cependant, malgré cette réussite éclatante, la réalité industrielle montre rapidement ses limites. La fabrication des Alpine reste à l’ancienne, artisanale, ce qui pose problème face à l’évolution des attentes des clients et aux normes de sécurité de plus en plus strictes. La gestion artisanale des voitures nuit à leur production de masse et à leur pérennité commerciale. En 1972, une grève importante paralyse l’usine, révélant les tensions internes et les difficultés croissantes du site de Dieppe.

Une évolution stratégique sous influence de Renault

Face à des difficultés financières importantes, avec des comptes dans le rouge, Jean Rédélé comprend qu’il doit faire appel à un grand partenaire industriel. La relation privilégiée avec Renault l’oriente naturellement vers un partenariat plus profond. La société Renault décide alors d’augmenter sa participation en ouvrant le capital de la marque Alpine. Progressivement, la Régie gagne en influence sur la stratégie et la gestion de l’entreprise, ce qui limite la liberté de Rédélé, qui finit par quitter la société en 1978. Avant de partir, il obtient la promesse que Renault maintiendra l’emploi sur le site de Dieppe pour une période de quatorze à quinze ans, afin de préserver l’activité locale et l’esprit de la marque.

Les années suivantes marquent la fin d’une époque. La dernière Alpine, une A610, sort de production en 1994. Ce modèle, positionné face à des marques prestigieuses comme Porsche, ne parvient pas à séduire un large public, notamment parce que Renault ne fait pas les efforts nécessaires pour en assurer la promotion. Cette dernière version ne trouve pas son marché dans l’univers concurrentiel de l’époque, et les exemplaires qui restent en concession sont relégués dans les coins, parmi d’autres modèles plus populaires. La marque Alpine semble alors définitivement disparue.

Une disparition progressive et un espoir de renaissance

En 1994, seulement 14 exemplaires de l’A610 sont vendus, ce qui marque la fin officielle de la production de cette génération. La voiture n’est pas remplacée, Renault décidant de ne pas continuer dans cette voie. Au lieu d’étendre la gamme Alpine, Renault préfère badger le futur projet du Spider, qu’elle décide de lancer sous la bannière Renault Sport, laissant définitivement de côté la marque Alpine. La désillusion est grande pour les passionnés et les fidèles de la marque dieppoise.

L’usine de Dieppe ne reste pas inactive pour autant : elle est consacrée à l’assemblage de la gamme Renault Sport, pour continuer une activité limitée qui évite toute fermeture totale. La possibilité de voir renaître Alpine renaît dans l’esprit des dirigeants au début des années 2000. En 2006, des rumeurs évoquent la reprise d’Alpine, avec des essais de partenariat avec Caterham, un constructeur britannique. Après plusieurs rebondissements, la marque Alpine va finalement connaître une renaissance commerciale en 2017, après plusieurs années d’attente. La nouvelle Alpine A110, qui évoque l’esprit de la Berlinette originale, met en avant un style néo-rétro très apprécié, tout en étant moderne dans ses innovations techniques.

Une renaissance concrète et un avenir prometteur

Malgré le contexte réglementaire toujours plus contraignant et la croissance rapide des véhicules qui ont en moyenne triplé de volume depuis un demi-siècle, la nouvelle Alpine de 2017 tient ses promesses. La voiture est légère, avec un poids proche d’une tonne, ce qui permet un comportement sportif et agile. L’efficacité de la voiture est au rendez-vous : elle se démarque par sa jouabilité, sa performance et sa facilité dans les virages serrés. Son moteur 4 cylindres turbo de 1,8 litre a été spécifiquement pensé pour cette nouvelle génération, offrant 252 chevaux qui permettent de passer de 0 à 100 km/h en à peine 4,5 secondes. La performance est impressionnante, la plaçant même devant certaines Porsche, puisqu’elle atteint 200 km/h en seulement 16,9 secondes.

Aujourd’hui, Alpine souhaite retrouver son prestige d’antan et se positionne comme une véritable marque haut de gamme. La gamme s’est étendue avec l’arrivée de l’A290, le premier modèle électrique de la marque, et avec le projet d’un SUV sportif haut de gamme, l’A390, prévu pour commémorer le 70e anniversaire de la marque. D’autres modèles sont en préparation, notamment une future Alpine électrique qui doit continuer à renforcer la réputation de la marque. En compétition, Alpine brille en Formule 1 et en endurance, ce qui lui permet de cultiver une image d’excellence sportive. Cependant, le défi principal reste encore à relever : faire connaître la marque à l’échelle mondiale. Plus que jamais, Alpine doit prouver qu’elle peut devenir une marque rentable et pérenne sur le long terme. Rien n’est impossible pour une marque qui sait relever les défis, car, comme le dit le proverbe normand, “impossible n’est pas normand”.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.