En Grand Est, 15 000 personnes âgées en état de « mort sociale » face à la montée de la solitude

Sophie Lambert

La solitude silencieuse des seniors : un état alarmant selon le baromètre des Petits frères des pauvres

Depuis 2017, tous les quatre ans, une étude menée par l’association les Petits frères des pauvres met en lumière une facette souvent méconnue mais cruciale de la société : l’isolement des personnes âgées. À chaque nouvelle publication, cette organisation permet de dévoiler la part invisible de la population française, celle qui se retrouve coupée du contact avec ses proches, ses voisins ou encore ses réseaux associatifs. Parmi les près de 19 millions de Français qui ont dépassé leur soixantième anniversaire, une proportion significative vit dans une solitude profonde, oubliée des regards et peu audible dans le concert social.

Les données les plus récentes, communiquées ce mardi, sont issues d’un sondage téléphonique effectué en avril dernier auprès de 1 860 personnes âgées de plus de 60 ans, représentant fidèlement la diversité de cette tranche d’âge. En complément, une vingtaine d’entretiens personnels ont été conduits en juillet, afin d’approfondir la compréhension de leur vécu. Ces chiffres confirment une tendance qui ne faiblit pas depuis 2017 : environ deux millions de seniors vivent aujourd’hui dans un isolement total, dépourvus de relations régulières, qu’elles soient familiales ou amicales.

Plus alarmant encore, on recense 750 000 personnes en situation de « mort sociale ». Cette expression qualifie des individus qui, en plus d’être délaissés par leur famille et leurs amis, n’entretiennent aucun lien avec la vie associative ou leur voisinage, échangeant avec leur entourage uniquement par de simples salutations. En une décennie, cette réalité s’est intensifiée, puisque le nombre de ceux qui se trouvent dans cette situation a plus que doublé : en 2017, ils étaient environ 300 000. Frank Liebenguth, directeur régional des Petits frères des pauvres dans le Grand Est, souligne que cette progression alarmante s’inscrit dans un contexte plus large où l’isolement social menace de devenir un enjeu majeur pour la santé publique.

Le Grand Est : un modèle en apparence moins touché par la solitude

L’étude révèle que la région du Grand Est se distingue quelque peu en matière d’isolement. Avec 1,5 million de personnes de plus de 60 ans, cette région affiche des taux inférieurs à la moyenne nationale en ce qui concerne la solitude. Par exemple, seulement 16 % de cette population rapporte un isolement familial, contre 29 % au niveau national. De même, la proportion de seniors qui vivent sans relations amicales ou communautaires y est de 21 %, contre 26 % dans le reste du pays. En revanche, en ce qui concerne leur engagement dans des activités sociales ou associatives, la part de ces seniors est comparable, avec 30 % et 64 %,respectivement. La « mort sociale » y est également moins présente, ne touchant que 1 % des personnes concernées, contre 4 % à l’échelle nationale. Pourtant, ces chiffres restent préoccupants, car cela signifie que 15 000 individus dans cette région n’ont plus aucun lien social effectif, ce qui peut avoir des répercussions graves sur leur santé physique comme mentale.

La précarité, un problème croissant pour les plus âgés

Ce portrait général doit être pris comme un signal d’alerte. La population française vieillit à un rythme accéléré : d’ici 2050, un tiers des habitants aura plus de 60 ans. Parallèlement, les structures familiales évoluent, souvent de manière à accentuer la précarité, même chez les jeunes générations. Frank Liebenguth insiste sur le fait que l’augmentation des situations d’isolement et de pauvreté chez les seniors ne doit pas être ignorée, car ces facteurs s’entrelacent et aggravent leur vulnérabilité.

L’association Petits frères des pauvres propose plusieurs mesures concrètes pour améliorer la situation. Parmi celles-ci, la nécessité de revaloriser le minimum vieillesse, fixé actuellement à 1 000 euros, afin qu’il atteigne au moins le seuil de pauvreté qui est à 1 200 euros. Cette augmentation permettrait de réduire la précarité et de donner plus de moyens pour accompagner les personnes fragiles. En 2025, environ 45 900 habitants du Grand Est bénéficient actuellement de cette allocation, un chiffre qui témoigne de l’ampleur du phénomène.

Des initiatives sur le terrain pour lutter contre l’isolement

Pour agir concrètement à l’échelle locale, les Petits frères des pauvres s’engagent à mettre en place des actions de repérage afin de détecter les personnes isolées et de favoriser le lien social. En partenariat avec des structures telles que des paroisses, des bailleurs sociaux, des commerçants, des associations et la municipalité, ils organisent des opérations de porte-à-porte. Ces actions, baptisées « petits veilleurs », ont pour but de réaliser un premier contact humain, surtout dans des zones rurales ou dans des quartiers spécifiques. À Strasbourg, une opération s’est déroulée en février dans le quartier de l’Esplanade : sur 500 logements ciblés, 250 habitants ont été ouverts à la discussion, parmi lesquels 135 personnes âgées. Parmi elles, 40 ont exprimé le besoin d’un suivi particulier, que ce soit pour des questions de logement inadéquat ou pour bénéficier d’un soutien psychologique.

Ce type d’initiative, bien que limitée à des zones précises, est essentiel pour redonner espoir et établir des ponts avec ceux qui vivent dans la solitude. La lutte contre l’isolement des personnes âgées ne doit pas simplement se limiter à une opération ponctuelle, mais impliquer une mobilisation continue afin de préserver leur dignité, leur santé, et leur place dans la société.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.