Des chercheurs étudient l’expérience de mort imminente pour en comprendre les phénomènes

Sophie Lambert

L’émergence des études scientifiques sur les expériences de mort imminente : un regard de plus en plus sérieux

Depuis plusieurs décennies, l’intérêt de la communauté scientifique pour ce phénomène mystérieux n’a cessé de croître. Cependant, ce n’est qu’à partir du début des années 2000 que l’on peut véritablement parler d’un engouement sérieux pour l’étude des expériences de mort imminente (EMI). Avant cette période, ces récits étaient souvent relégués dans le domaine du paranormal ou de la spiritualité. La première étape significative dans leur reconnaissance scientifique est attribuée aux travaux du médecin américain Raymond Moody, qui, en 1975, publia un ouvrage intitulé La vie après la vie. Dans cet ouvrage, Moody relate de nombreux témoignages de personnes ayant vécu une EMI, décrivant des sensations et des visions qui semblent transcender la réalité ordinaire. Toutefois, la vision de Moody, influencée par ses convictions spirituelles, percevait ces expériences comme un retour d’âmes venues d’un autre monde, ce qui n’était pas encore une approche purement scientifique.

Ce n’est qu’au tournant du XXIe siècle que la recherche sur ces phénomènes a véritablement pris une tournure académique et médicale. Aujourd’hui, les expériences de mort imminente sont considérées comme une réalité à explorer pour la science, intégrée dans les champs des neurosciences, de la psychologie et de la médecine. La communauté scientifique commence à traiter ces récits avec un regard objectif, cherchant à déterminer les mécanismes neurologiques sous-jacents et leur signification.

Quelles avenues explorent maintenant les chercheurs ? La recherche récente s’est concentrée notamment sur l’analyse des activités cérébrales lors des états critiques. Des enregistrements électroencéphalographiques (EEG), réalisés notamment aux États-Unis chez des patients en arrêt cardiaque, ont révélé des phénomènes surprenants : l’activité électrique du cerveau peut, à certains moments précis, ressembler à celle d’un cerveau en plein éveil. Autrement dit, des périodes d’un haut degré d’activité neuronale, habituellement associées à la conscience, peuvent coïncider avec le moment de la mort apparente. Ce constat amène à supposer qu’au moment où la vie s’éteint, une dérive d’activité cérébrale se produit, générant des images mentales qui pourraient constituer les fameuses visions rapportées lors d’EMI.

Cette hypothèse a trouvé un soutien en expérimentations menées chez des animaux, notamment des rats. Ces études, qui seraient impossibles à pratiquer de la même façon chez l’homme en raison de considérations éthiques, ont permis de confirmer la survenue de sursauts transitoires d’activité neuronale lors d’un arrêt respiratoire. La dissociation observée pourrait expliquer les expériences de mort imminente : un état de conscience altéré, à mi-chemin entre l’inconscience et une activité mentale autonome, se déployant alors que le cerveau demeure partiellement actif malgré la dégradation de ses fonctions essentielles. La mise au point d’un modèle expérimental pour suivre en temps réel l’activité électrique des neurones dans un tel contexte a permis d’établir que les neurones, sous forte stimulation, génèrent une activité organisée, et non pas une simple agitation diffuse. Cette activité pourrait contenir des éléments de contenu mental, suggérant que la conscience pourrait, même en état de decrochage, continuer à produire des images mentales complexes.

Une autre trouvaille remarquable de ces recherches est la mise en évidence d’un type précis d’onde électrique apparaissant lors de la réanimation d’animaux en arrêt. Contrairement aux protocoles classiques de fin de vie, que ce soit chez l’homme ou l’animal, ces expérimentations ont montré qu’après un arrêt respiratoire, une onde spécifique se manifeste dans l’EEG et précède le retour de l’activité cérébrale. Baptisée en anglais « wave of resuscitation » (onde de la réanimation), cette onde est un marqueur précoce qui indique que le cerveau est sur le point de retrouver une activité fonctionnelle. À sa découverte, cette onde a constitué une révélation puisque, dans tous les cas étudiés, sa présence correspondait à la réapparition d’une activité cérébrale réanimée. Elle pourrait donc devenir un outil précieux pour prédire avec précision le moment de la récupération neurologique, voire de la conscience retrouvée.

Face à ces avancées, une proposition audacieuse émerge : rebaptiser le phénomène connu sous le nom d’expérience de « mort imminente » en « vie imminente ». Pourquoi cette nouveauté de terminologie ? Parce que, selon ces nouvelles observations, les premiers signes d’activité cérébrale après la réanimation ne ressemblent pas à ceux d’un cerveau simplement éveillé de manière ordinaire. Au contraire, ils semblent plutôt indiquer une manifestation neurologique liée à la reconstruction progressive de la conscience, plutôt qu’à son maintien pendant la phase terminale. Par ailleurs, ces signaux ressemblent fortement à ceux observés lors de certaines hallucinations ou états psychotiques, comme chez des patients schizophrènes ou sous influence de psychédéliques puissants tels que la psilocybine ou le LSD. Ces observations suggèrent une hypothèse fascinante : la conscience qui se reforme pourrait passer d’un état hybride, où la perception est altérée ou déconnectée du réel, à celui d’une conscience ordinaire. Cela pourrait aussi aider à mieux comprendre les contenus hallucinatoires rapportés lors des EMI.

Un lien intrigant pointe vers les substances psychédéliques, qui agissent essentiellement en modulant la sérotonine dans le cerveau. Si cette molécule joue un rôle dans la configuration de ces états de conscience, elle pourrait aussi être impliquée dans l’apparition des expériences de mort imminente, précisément lors du retour de l’activité cérébrale. Cette perspective ouvre une voie nouvelle pour comprendre non seulement la nature neurobiologique de ces phénomènes, mais aussi leur relation avec les états modifiés de conscience induits par certains traitements ou substances.

Enfin, il est important de noter que toutes les personnes ayant vécu une réanimation ne rapportent pas systématiquement ces types d’expériences. La proportion estimée serait de l’ordre de 15 à 20 %, mais ces chiffres pourraient en réalité être sous-estimés, car beaucoup de témoins préfèrent ne pas en parler par pudeur ou par crainte de jugement. En outre, l’expérience semble liée à un moment précis du processus de retour à la conscience, un peu comme le réveil lors du sommeil : si le réveil intervient trop tôt ou trop tard, il est peu probable que l’on se souvienne du contenu intérieur vécu. Ainsi, la concordance entre le vécu subjectif et l’état physiologique du cerveau reste une piste fondamentale à explorer, afin de mieux comprendre le lien étroit entre expérience personnelle et fonctionnement neuronal.

Ce champ d’investigation est en pleine expansion, et les progrès récents laissent entrevoir une meilleure compréhension des frontières entre vie, mort et conscience.

Le professeur Stéphane Charpier, spécialiste renommé de la neuroscience, a récemment publié un ouvrage intitulé Le cauchemar de Descartes. Ce livre, prévu pour mai 2025, s’intéresse précisément à ce que révèlent les neurosciences sur la conscience, poursuivant ainsi la quête de comprendre ce phénomène énigmatique qui fascine autant qu’il questionne notre perception de la vie et de la mort.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.