Les « Never Events » en médecine : un aperçu des erreurs évitables et de leur impact
En 2023, la société d’assurance mutualiste Relyens, qui intervient dans plusieurs nations européennes, a étudié plus de 10 000 dossiers de sinistres issus de quatre pays : la France, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne. Leur analyse a permis d’identifier 339 incidents qualifiés de « never events », c’est-à-dire des erreurs médicales évitables ou pouvant être évitées. Ces erreurs graves représentent environ 3 % des demandes d’indemnisation formulées par les patients. Un constat préoccupant : ces événements d’une gravité extrême auraient pu être évités si les consignes de sécurité avaient été scrupuleusement suivies par les professionnels de santé.
Parmi ces « never events », une majorité, soit 35 %, sont liées à un oubli de matériel lors de l’opération, comme une embout de sonde ou une compresse laissée sur place. Viennent ensuite les erreurs de procédure, responsables de 16 % des incidents, telles qu’une intervention opérée du mauvais côté ou un manque de coordination lors de la préparation de l’acte chirurgical. D’autres cas concernent diverses complications, par exemple, 20 % des incidents impliquent des brûlures subies par des patients, parfois graves, comme une brûlure au troisième degré survenue sous anesthésie locale après qu’une poche de glace a été appliquée. La mauvaise adaptation des implants ou prothèses représente également une part non négligeable des erreurs, s’élevant à 17 %, par exemple une prothèse de hanche de taille inappropriée.
Les erreurs médicamenteuses graves comptabilisent à elles seules 10 % des cas, telles qu’une injection erronée suite à une confusion entre deux ampoules similaires. Enfin, 2 % de ces « never events » proviennent d’erreurs commises par le patient, telles qu’un prélèvement mal étiqueté, où une étiquette provenant d’un autre dossier a été utilisée par erreur.
En termes de coûts, ces incidents ont un impact financier substantiel : en 2023, leur coût global s’élève à près de 11,4 millions d’euros, avec une moyenne d’environ 36 000 euros par événement. Les situations les plus graves peuvent atteindre jusqu’à 600 000 euros en dépenses liées aux conséquences de l’erreur.
Une répartition selon la gravité des incidents : de la détection à la catastrophe
Lorsqu’on examine la gravité de ces erreurs, plus de la moitié présentent un degré moyen. Cela signifie qu’elles entraînent des complications évitables et allongent le parcours de soins du patient. Cependant, une proportion importante, soit 25 %, ont une gravité élevée, pouvant même conduire au décès.
La classification de ces incidents repose sur quatre niveaux distincts :
- Environ 19 % des cas ont un impact faible, car l’incident est repéré avant qu’il ne cause des séquelles durables. Par exemple, une brûlure superficielle due à un matériel excessivement chaud, qui ne laisse pas de trace permanente.
- La majorité, soit 55 %, sont classés avec une gravité moyenne. Dans ces situations, le parcours médical s’allonge, et des complications secondaires demandent une prise en charge supplémentaire, comme une infection causée par la perte de matériel.
- Près de 19 % des événements ont une gravité élevée, avec des conséquences irréversibles pour le patient, comme une paralysie ou une déficience durable suite à une erreur de procédure.
- Enfin, 8 % des incidents aboutissent à un décès, notamment dans des cas où une erreur, comme une injection de médicament erroné, a directement mené à la mort du patient.
Ce qui ressort de cette analyse, c’est que la majorité de ces erreurs n’engendrent pas une issue fatale, mais leur fréquence et leur gravité potentielle rendent leur prévention cruciale pour préserver la sécurité des patients.
Une fréquence plus élevée lors de chirurgies programmées
Il peut paraître surprenant de constater que 84 % des « never events » surviennent lors d’opérations planifiées. Ces interventions, souvent considérées comme plus sûres, sont paradoxalement plus susceptibles de générer de telles erreurs. La raison est probablement que la routine, dans ces situations, finit par diminuer la vigilance des équipes médicales. En revanche, lors d’urgences, l’attention et la concentration sont communes à toute l’équipe, ce qui limite certains risques d’erreurs importantes.
Les spécialités chirurgicales les plus touchées par ces incidents sont :
- La chirurgie orthopédique, responsable de près de 32 % des « never events », principalement liés au matériel, à la précision de la localisation ou à la technique opératoire. La fréquence de ces incidents s’explique aussi par le grand volume d’interventions effectuées dans cette discipline.
- La gynécologie-obstétrique voit environ 20 % des incidents, souvent causés par l’oubli d’un instrument ou d’une compresse lors d’accouchements ou de césariennes.
- La chirurgie viscérale, qui représente environ 15 % des événements, voit des erreurs de localisation ou de ciblage lors des interventions.
- La chirurgie plastique et l’urologie sont également concernées, avec respectivement 5 % et 4 % des cas.
Les erreurs : une responsabilité collective plutôt qu’individuelle
Contrairement à une idée répandue, ces erreurs graves ne résultent pas uniquement de fautes individuelles ou de manques de compétence. Elles traduisent plutôt des failles systémiques au sein des organisations hospitalières. C’est une erreur collective, souvent liée à la mise en œuvre inconstante des protocoles, à une culture de la sécurité insuffisamment ancrée, ou encore à un déficit dans la formation des équipes à l’analyse des signaux faibles et à l’importance du retour d’expérience.
Pour diminuer la fréquence de ces événements, l’auteur recommande la mise en place de plusieurs leviers. Parmi eux, l’utilisation systématique d’une check-list ergonomique intégrée au dossier du patient, employée à trois moments clefs : avant l’anesthésie, avant l’incision, puis à la fin de l’opération. La particularité est que la réalisation de cette liste pourrait être facilitée par l’intelligence artificielle, limiteur de risque.
Quelle est la situation en France ?
En France, l’objectif des check-lists est de renforcer la sécurité en chirurgie. Pourtant, leur application concrète reste souvent limitée ou inefficace. Certaines pratiques ont tendance à faire de ces listes de simples formalités administratives, voire à les bâcler ou à ne pas les suivre de manière systématique. Ceci explique pourquoi, malgré leur promotion, ces outils ne parviennent pas toujours à prévenir efficacement les erreurs évitables.
L’année dernière, la Haute Autorité de Santé (HAS) a actualisé son outil de sécurité au sein des blocs opératoires : la check-list « Sécurité du patient en chirurgie ou interventionnel ». Facile à utiliser, elle favorise de meilleures pratiques, une communication plus fluide et un travail d’équipe renforcé, en assurant une vérification croisée de critères essentiels avant, pendant et après chaque intervention.
L’impact de cette check-list a été démontré scientifiquement : elle contribue à réduire les incidents indésirables liés aux soins et limite notablement la morbi-mortalité en période post-opératoire. Récemment, le Collège français des anesthésistes-réanimateurs a publié un « Flash sécurité patient » pour sensibiliser sur la prévention des erreurs de côté lors des anesthesia loco-régionales.
Il est également crucial de souligner que publier une check-list ne suffit pas. Leur efficacité dépend de leur utilisation systématique. En septembre dernier, une étude menée par l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris révélait qu’un tiers des check-lists au bloc opératoire étaient incomplètes, ce qui signifie que près de 60 000 patients n’ont pas bénéficié d’une sécurité optimale durant leur intervention. En 2020, Philippe Cabarrot de la HAS soulignait que plus de 90 % des événements indésirables graves ou parfois mortels étaient liés à un dysfonctionnement dans l’utilisation de ces check-lists, illustrant l’importance de leur rigueur dans la pratique quotidienne.
Ainsi, la prévention des « never events » reste un défi considérable mais essentiel pour garantir la sécurité du patient et améliorer la qualité des soins dans le système de santé.






