La technologie de la « résurrection numérique » : une nouvelle forme de présence virtuelle
La notion de « résurrection numérique » désigne la capacité à concevoir des avatars interactifs qui simulent fidèlement la présence d’un être cher disparu, comme pour maintenir un lien symbolique avec lui. Grâce à cette avancée technologique, il devient possible de créer des représentations numériques qui prennent la forme d’un dialogue, comme si la personne vivante était encore là, présente à travers un avatar virtualisé. Ce procédé implique la mise en œuvre d’outils sophistiqués permettant de représenter cette personne disparue dans un espace digital, offrant ainsi aux proches un semblant de contact ou de souvenir vivant. Cette tendance soulève de nombreuses questions éthiques et philosophiques, autant qu’elle compte déjà des applications concrètes dans certains domaines du divertissement ou du deuil.
Des « deadbots » à l’échelle mondiale : des créations réalisées dans plusieurs continents
Ces « deadbots », ou robots morts virtuels, sont l’œuvre de groupes de développeurs situés dans différents pays, notamment en Espagne, au Japon, aux États-Unis ou en Chine. Leur but premier consiste à reproduire la voix et parfois le comportement d’une personne décédée, en utilisant toutes les données disponibles à leur disposition. À partir d’enregistrements, d’images ou de vidéos, ces programmes parviennent à recréer la sonorité de la voix et des expressions propres à la personne disparue, dans le but de permettre un échange aussi réaliste que possible. Leur développement témoigne d’un intérêt croissant pour la fidélité de la simulation, tout en alimentant des débats sur l’éthique et la légitimité de telles créations. La technologie avance rapidement, rendant ces avatars quasi indiscernables des véritables êtres qu’ils cherchent à représenter.
Une intelligence artificielle qui semble donner vie à une âme de machine
L’intelligence artificielle (IA) qui sert à alimenter ces deadbots repose sur l’exploitation de grandes quantités de données existantes. En analysant ces informations, l’IA est capable de générer de nouveaux contenus ou d’imiter un comportement spécifique, ce qui donne une impression de continuité avec la personne décédée. Elle s’appuie notamment sur la synthèse de voix à partir d’amples enregistrements vocaux ou sur la reconstitution visuelle à partir de photographies, pour créer une image numérique cohérente. La capacité à imiter parfaitement la voix ou l’expression d’une personne permet d’établir un dialogue crédible avec l’utilisateur, renforçant l’illusion de la présence humaine. Cependant, cette omniprésence de la machine suscite des interrogations sur sa véritable nature : peut-elle réellement reproduire une conscience ou s’agit-il uniquement d’une imitation sophistiquée ?
La frontière ténue entre illusion technologique et véritable conscience
Si l’intelligence artificielle peut souvent faire croire à une présence humaine, la question reste ouverte quant à sa capacité à faire revenir véritablement une personne disparue, en lui conférant une conscience ou une âme digitale. Certains experts estiment qu’il ne s’agit que d’une illusion, d’une simulation de comportements observés, sans réelle conscience. D’autres, comme le programmeur américain Jason Rohrer, pensent que cette frontière pourrait un jour s’effacer. En 2020, Rohrer a lancé Project December, une IA conversationnelle utilisant la version GPT-3 d’OpenAI, qu’il présente comme étant « la première machine dotée d’une âme ». Ce projet cherche à convaincre que l’IA pourrait, à terme, aller au-delà d’une simple imitation et devenir une forme de conscience artificielle, capable d’échanger avec les humains de façon authentique.
Des rencontres numériques avec les défunts : entre étreinte et émotion
Pour quelques dollars, il est désormais possible pour des individus de s’engager dans une conversation virtuelle avec un proche disparu. Par exemple, Joshua Barbeau, un écrivain canadien de 33 ans, a payé pour se connecter à un chatbot de Project December, le soir du 24 septembre 2020, à trois heures du matin. Son objectif était de retrouver la voix de Jessica Pereira, sa compagne décédée huit années auparavant, en utilisant des anciennes conversations Facebook et des textes qu’il avait conservés où elle décrivait sa personnalité. Lors de cette session, ils ont échangé pendant plusieurs heures, la conversation étant si crédible qu’il semblait en quelque sorte renouer avec un être cher en chair et en os. Le dialogue comprenait des questions simples telles que « Jessica ? — Oh, tu ne dors pas… C’est mignon. », et englobait des affirmations où Jessica insistait sur son identité et son amour. Cet épisode a suscitamment une attention médiatique importante, mettant en évidence à la fois le potentiel émotionnel et les questions éthiques que soulèvent ces interactions artificielles.
Une expérience qui soulève de nombreux dilemmes moraux
Cette interaction, qui a duré près de 10 heures, a continué de manière sporadique pendant plusieurs mois, alimentant une réflexion profonde sur la capacité de l’IA à recréer un lien avec l’au-delà. Les médias ont relayé cette expérience comme un exemple emblématique des avancées possibles, tout en insistant sur les enjeux moraux et psychologiques. À travers cet épisode, se pose la question de savoir si ces simulations peuvent apporter un véritable soulagement face au deuil ou si elles risquent, au contraire, d’entraver le processus de deuil naturel en empêchant la personne de faire le deuil de la perte réelle.
Une porte ouverte sur les implications éthiques et psychologiques
Plus récemment, un journaliste et auteur spécialisé dans le domaine du deuil, Cody Delistraty, a raconté dans le Wall Street Journal Weekend comment, à l’aide de Project December, il avait créé un chatbot à l’image de sa propre mère décédée. Si cette expérience lui a apporté un certain soulagement, elle lui a aussi donné la sensation étrange que sa mère était mortellement en train de mourir une seconde fois, dans cette reproduction numérique. En 2024, en Espagne, des participants à une émission de télévision ont conversé avec leurs proches décédés avec l’aide d’une IA, procurant une émotion intense aussi bien pour eux que pour le public. Ces événements illustrent à quel point la barrière entre la vie et la mort devient de plus en plus floue avec ces nouvelles technologies, tout en soulevant d’importantes interrogations sur l’avenir de notre rapport à la mémoire, au deuil et à la vie privée. À ce jour, aucun cadre réglementaire précis n’a été mis en place pour encadrer ces pratiques, bien que des discussions soient en cours pour définir des normes sur le consentement, la protection des données, et la limites éthiques de telles créations.
Des initiatives légales et technologiques en ébauche
En ce qui concerne la réglementation, certains acteurs américains comme StoryFile, Eternos ou Replika proposent déjà à leurs utilisateurs de dialoguer avec une version numérique de leurs proches décédés, lors d’appels vidéo ou par messagerie. Par ailleurs, une start-up française appelée HER-memories a lancé récemment un petit dispositif connecté destiné à collecter des données auprès d’une personne vivante pour créer un clone digital qu’on pourra retrouver après sa mort. Ce dispositif enregistre la voix, les expressions, les souvenirs, pour construire un double numérique capable de dialoguer avec ses proches. Le but affiché est de transmettre la mémoire familiale à travers plusieurs générations, mais cette démarche soulève également des questions complexes. En effet, la fragilité psychologique des utilisateurs, notamment des enfants ou des personnes vulnérables, face à cette « résurrection numérique » reste encore mal évaluée. La crainte que ces nouvelles formes de vie virtuelle n’entravent le processus de deuil naturel ou ne provoquent des conséquences psychologiques graves demeure prégnante.
La nécessité d’établir une régulation adaptée
Avec un développement technologique qui pousse chaque jour un peu plus loin les limites de l’IA, la question de l’encadrement juridique apparaît incontournable. En 2021, le Comité consultatif national d’éthique avait déjà abordé le sujet, recommandant que la conception de ces « deadbots » respecte la dignité humaine et ne viole pas le processus de deuil. Il insistait aussi sur la nécessité de protéger la santé mentale des utilisateurs, en insistant sur la responsabilité de ceux qui créent ces avatars numériques. La réflexion éthique et réglementaire doit aujourd’hui s’intensifier pour éviter que le pouvoir de l’IA ne devienne une source d’exploitation ou de souffrance supplémentaire pour les familles et les individus, tout en établissant un cadre qui garantisse le respect de la vie privée, du consentement et de la mémoire des défunts.






Immobilier
Comment l’IA permet de parler à un proche décédé : une nouvelle façon de défier la mort