Traumatismes, stress post-traumatique : une transformation complexe du cerveau
Après avoir vécu un événement particulièrement violent tel qu’un attentat, il n’est pas rare que certains individus développent un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Cependant, tout le monde ne réagit pas de la même façon face à un trauma : certains personnes peuvent développer un TSPT qui persiste dans le temps, tandis que chez d’autres, la réaction reste momentanée. Chez certains individus, les symptômes deviennent chroniques, empêchant leur rétablissement complet, alors que chez d’autres, le corps et l’esprit parviennent à se réparer et à retrouver un état de santé plus stable. Après les événements dramatiques survenus lors des attentats de Paris et Saint-Denis en 2015, un programme transdisciplinaire appelé 13-Novembre a été instauré pour mieux comprendre ces mécanismes complexes. Dans le cadre de ce programme, une étude baptisée Remember a été menée pour approfondir la compréhension des effets de ces événements traumatiques sur le cerveau.
L’objectif principal de cette recherche : analyser la façon dont un évènement traumatisant modifie la structure et le fonctionnement de l’organe cérébral. Plus précisément, les chercheurs cherchent à identifier des marqueurs neurobiologiques spécifiques non seulement du trouble, mais aussi des caractéristiques de résilience face au trauma. La finalité à long terme est d’explorer de nouvelles approches thérapeutiques complémentaires aux traitements classiques, en se basant sur ces découvertes neuroscientifiques. Une telle démarche pourrait ouvrir la voie à des stratégies personnalisées, mieux adaptées à la neurobiologie propre à chaque patient.
Comment se forment et se manifestent les souvenirs intrusifs chez les victimes de traumatismes ?
L’un des symptômes les plus difficilement supportables du TSPT est la présence de souvenirs intrusifs. Lorsqu’une victime est exposée à un souvenir qui lui rappelle la scène traumatique, comme une odeur, une ambiance ou une sensation particulière, cela peut déclencher une remontée brutale de l’événement. Ces souvenirs envahissants donnent l’impression que l’évènement se répète dans le présent, bouleversant la vie quotidienne et empêchant la personne de tourner la page. La puissance de ces intrusions souvent inattendues constitue une véritable hantise pour ceux qui en souffrent.
Dans une étude antérieure, l’équipe de chercheurs* dirigée par Pierre Gagnepain, spécialiste en neuropsychologie et responsable scientifique au sein du projet Remember, a mené une comparaison entre les résultats d’imagerie cérébrale de deux groupes : 120 participants ayant été exposés aux attentats, et 80 qui n’avaient pas été en situation de danger. Les résultats dévoilent un dysfonctionnement spécifique dans le contrôle des régions du cerveau impliquées dans la gestion des souvenirs. Chez les personnes affectées par le TSPT, ces mécanismes de régulation montrent une faiblesse : ils ne parviennent pas à exercer leur rôle de contrôle sur l’hippocampe. Cette dernière est une région cruciale dans la mémoire, notamment dans la formation et l’intégration des souvenirs. En conséquence, ses activités ne sont pas efficacement régulées, laissant la place à des intrusions. En revanche, chez ceux qui ne sont pas affectés par le trouble, ces mécanismes de contrôle cérébral restent intacts, leur permettant d’inhiber la survenue de souvenirs indésirables et de maintenir une meilleure santé mentale.
Une récupération progressive des fonctions cérébrales et des mécanismes de contrôle
L’étude se poursuit en s’interrogeant sur la possibilité pour le cerveau de réactiver et de renforcer ces mécanismes de contrôle sur la mémoire, avec le temps. Le deuxième volet de l’étude Remember, dont les résultats viennent tout juste d’être publiés dans la revue Science Advances, a suivi 100 personnes ayant été exposées aux attentats du 13 novembre 2015. Parmi elles, 34 souffraient encore actuellement de TSPT, tandis que 19 autres semblaient s’en être complètement sorties. Une quarantaine de participants, eux, n’avaient pas été confrontés directement aux événements. Ces individus ont tous participé à des séances d’imagerie cérébrale successives entre 2016 et 2019, permettant aux chercheurs d’observer l’évolution structurelle et fonctionnelle de leur cerveau. Ensuite, entre 2020 et 2021, chaque participant a rempli un questionnaire évaluant les éventuels symptômes résiduels du trouble.
Les résultats indiquent une amélioration progressive chez ceux qui se sont remis du TSPT. Leurs mécanismes de contrôle de la mémoire – notamment ceux régulant l’activité de l’hippocampe – ont retrouvé peu à peu une configuration normale, semblable à celle du groupe témoin. Ces modifications apparaissent dans l’imagerie cérébrale par une activité accrue des régions préfrontales, responsables de l’inhibition, qui empêchent l’hippocampe de produire des souvenirs intrusifs. Autrement dit, le cerveau se réorganise et retrouve sa capacité à réguler efficacement ces processus, offrant une meilleure stabilité psychologique.
Une plasticité cérébrale qui ouvre de nouvelles perspectives thérapeutiques
Chez les personnes souffrant d’un TSPT chronique, ces mécanismes de contrôle peuvent rester défaillants pendant longtemps. Mais, lors de la deuxième phase de l’étude, certains sujets ont montré des signes de plasticité neuronale, une capacité d’adaptation du cerveau à long terme. Ces participants ont présenté des premiers signes de restauration des circuits de contrôle de la mémoire, ce qui a été associé à une réduction sensible de leurs symptômes intrusifs, tels que rapportés dans leurs réponses au questionnaire. Sur le plan structural, on a également observé une atténuation de l’atrophie de l’hippocampe, signe d’une récupération potentielle de ses fonctions.
Le premier auteur de cette étude, Giovanni Leone, explique que ces résultats prouvent que rien n’est figé dans le cerveau. La résilience face aux traumatismes repose sur la plasticité des circuits neuronaux, notamment ceux qui régulent l’hippocampe et la manifestation des souvenirs intrusifs. L’étude souligne également que l’altération de ces mécanismes de contrôle n’est pas une conséquence inévitable du TSPT, mais probablement sa cause principale. En d’autres termes, c’est leur dysfonctionnement initial qui favorise l’émergence et la persistance du trouble.
Ces découvertes donnent naissance à de nouvelles approches en cliniques. Il devient envisageable de développer des thérapies visant à stimuler directement ces réseaux de contrôle, sans risquer de raviver les émotions traumatiques ou de provoquer des reviviscences douloureuses. Il pourrait s’agir de techniques visant à renforcer la plasticité cérébrale, dans le but d’offrir un traitement complémentaire aux méthodes classiques, plus invasives ou émotionnellement exigeantes. L’avantage principal serait de pouvoir agir de manière ciblée sur la régulation de la mémoire tout en respecting l’intégrité émotionnelle du patient.
La prochaine étape consiste à explorer le rôle d’un récepteur localisé dans l’hippocampe, soupçonné d’intervenir dans le processus d’oubli et de suppression des souvenirs. En étudiant cette structure précise, les chercheurs espèrent mieux comprendre comment le cerveau peut volontairement « oublier » certains souvenirs pour protéger la personne, et comment cette capacité pourrait être optimisée dans le cadre du traitement des traumatismes.
*L’équipe de recherche menée par le laboratoire Inserm Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine, en partenariat avec l’Université de Caen Normandie, l’École pratique des hautes études, le CHU de Caen et le GIP Cyceron.






Santé
Comment le cerveau évolue pour vaincre le stress post-traumatique