Alsace : le Ballet du Rhin, un programme audacieux qui explore tous les registres

Sophie Lambert

Nouveautés artistiques et audaces dans la saison du CCN-Ballet de l’Opéra du Rhin

La nouvelle saison du Centre Chorégraphique National Ballet de l’Opéra national du Rhin se démarque par une volonté manifeste d’expérimentation et de créativité. Sous la direction de Bruno Bouché, cette programmation s’inscrit dans une volonté de proposer des œuvres singulières mêlant innovation esthétique et liberté artistique. La saison se veut à la fois solide, notamment grâce à une maîtrise technique affirmée, et audacieuse, voire éclectique dans ses propositions artistiques. Une véritable invitation à la découverte, où la diversité des formes et des humeurs chorégraphiques est mise en avant pour explorer de nouvelles perspectives.

Une exploration visuelle et sensible avec « All over Nympheas »

Parmi les moments forts, la pièce « All over Nympheas » d’Emmanuel Eggermont attire particulièrement l’attention. Transmise à une dizaine de danseurs du CCN-Ballet, cette œuvre poursuit une aventure « chromato-chorégraphique » qui cherche à relier la peinture de Monet à l’abstraction expressive américaine. Sur scène, la danse devient le médium d’un voyage sensible où la chorégraphie, la musique, la scénographie et les costumes forment un tout intrinsèquement lié. Le résultat est une représentation fragmentée, graphique, en constante transformation, évoquant un jardin en perpétuelle métamorphose, où chaque détail contribue à créer une atmosphère à la fois fragile et vibrante. La pièce multiplie ainsi les références visuelles, artistiques et chromatiques pour créer une expérience à la fois esthétique et profondément expressive. Une œuvre innovante qui invite à ressentir la peinture à travers le mouvement, en enrichissant le langage chorégraphique par une démarche artistique multidimensionnelle.

Une programmation éclectique mêlant jeunesse, engagement et réinventions

La saison comporte plusieurs spectacles novateurs, dont trois créations sur un ensemble de six programmes. Parmi elles se distingue « En regard », une pièce qui fait dialoguer le jeune chorégraphe antillais Léo Lerus avec l’israélienne Sharon Eyal. Ce fil conducteur tisse des échanges interculturels et artistiques, tout en renouvelant le vocabulaire du corps en mouvement. Par ailleurs, Bryan Arias choisit d’apporter une réflexion féministe à travers son interprétation du monumentux « Hamlet », en adoptant un regard critique et engagé sur l’œuvre, tout en utilisant une bande-sonnisée par Tanguy de Williencourt. La diversité des approches se manifeste également dans la manière dont chaque chorégraphie questionne et repense les classiques ou explore de nouveaux langages chorégraphiques.

Une pièce inspirée par la peinture et la pensée

Bruno Bouché enrichit également la saison par une collaboration avec le Ballet de Chemnitz, ville jumelée avec Mulhouse. Il y présente une œuvre qui puise ses inspirations dans la peinture du Caravage et dans la philosophie de Pasolini. Ce double hommage tisse un pont entre l’image et la réflexion, mêlant la force visuelle de la peinture à la profondeur de la pensée artistique. Il s’agit d’une création qui cherche à faire dialoguer ces deux univers, en proposant une lecture chorégraphique originale, où l’intensité dramatique et les questionnements existentiels sont mis en scène avec puissance.

Une immersion dans la musique et la figure d’Amadé

Une attention particulière est portée également à l’univers musical et à l’évocation d’artistes emblématiques. La pièce « Amadé » de Rubén Julliard, intégrée dans le programme « Danser Mozart au XXIe siècle », illustre cette démarche. Elle évoque la brièveté tragique d’un destin marqué par des forces contraires : le travail obsessionnel, la maladie, l’anxiété et la créativité. La narration se concentre sur la vie de Mozart, représentée comme une existence courte mais intense, entre l’émergence juvénile et l’ultime effondrement dans la composition du Requiem, resté inachevé. La mise en scène souligne la vulnérabilité et la grandeur d’un artiste en proie à ses démons, tout en proposant une lecture sensible de la dualité entre la merveille de la création et la mort inévitable.

Une saison clôturée par des reprises et des œuvres incontournables

L’attente autour de la recontitution d’« All over Nympheas » d’Eggermont est une des moments attendus de cette saison, tout comme la reprise de « Danser Mozart au XXIe siècle ». Ce dernier rassemble un panel d’émergences chorégraphiques, notamment avec un solo de Tero Saarinen, « Hunt », où l’on revisite le Sacre du Printemps, ou encore la réinterprétation de « L’Après-midi d’un faune » par Dominique Brun, sans oublier la création de « Un Boléro » avec François Chaignaud. Ce dernier, interprété avec la gestuelle frénétique qui lui est propre, conclura une saison riche en renouvellements, en confrontations artistiques et en explorations du corps dans ses dimensions multiples.

Une saison qui s’inscrit dans une dynamique d’innovation et de dialogue entre les artistes, visant à repousser les limites de la danse contemporaine tout en rendant hommage aux grands classiques, dans une optique d’expérimentation permanente.

Sophie Lambert

Sophie Lambert

Née à Colmar et passionnée par les enjeux sociaux et environnementaux, j’ai choisi le journalisme pour donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas. Je crois en une presse locale libre, engagée et accessible à toutes et tous.